Mon mois d'octobre a été rythmé par le défi graphique lancé aux dessinatrices et dessinateurs amateurs de challenges, comme chaque année depuis 2009 et ce, à partir d'une liste de mots pré-choisis : Inktober. Dessiner me fait bouillonner le cerveau ; ma langue se délie. Surchargée de mots, envahie de phrases, je verbalise : impossible de résister à l'appel du texte poétique et narratif qui (re)présente et commente l'expérience.
Inktober comme "occasion".
L'occasion de dessiner à partir d'une contrainte, un mot étranger (et parfois, étrange) car venu d'un au-delà de moi-même, d'une galaxie neuronale à explorer, le feutre, le stylo, le marqueur – le crayon ! – à la main. L'occasion de tester. De se tester sur des mises en scène, des personnages, interroger la justesse d'une écriture graphique, l'audace d'un aplat noir d'encre. Des jours durant, j'aurai testé la capacité de ré-invention des outils graphiques usuels, domestiqués, que sont pour moi le feutre fin taille 0,3 à 0,8 et le feutre pinceau affichant en pleins, déliés et lignes tremblotantes, son trait noir de noir. L'occasion, enfin, de se joindre à une communauté d'individualités créatives.
Inktober comme "corps".
Parfois, le mot du jour percute de plein fouet mon univers lexical, jusque-là bien à l'abri entre le cœur, l'âme, l'esprit et le cerveau. Mon univers pourtant plus riche de jours en jours s'avère soudain étroit, étriqué, connu, résolu, inadapté – rétif et vulnérable : l'effet liste imposée. Les termes – pour certains inédits, absents de ma mythologie – se ruent dans le panthéon entrouvert de mon langage "graphico-littéraire". Le mot étranger se balade dans mes allées, mes fauteuils, comme en terrain conquis ; tout mon corps artistique est convoqué, depuis mes synapses jusqu'aux profondeurs humorales. Mais variablement, selon les nuits, les soirs, les jours. Le mot étranger fait décharge ou pas ; le mot parasite fait contagion ou pas ; le mot Inktober fait séisme, ou pas.
Inktober comme "support".
Choisir le support d'expression et d'exploration approprié... Je me saisis d'un carnet déjà entamé, de format A5, plein de 17 feuilles cartonnées, cependant. Dans cet espace de mise en scène cartonné, le feutre et le feutre pinceau, à la suite du crayon gris ou du crayon de couleur, cherchent à faire advenir quelque chose ou quelqu'un. Sculpteurs de l'invisible ! La feuille, espace ludique aux limites tangibles non négociables, ses bords nets, ses angles droits, se pose en alliée (ou en ennemie). Avec de la créativité, des hésitations, de la spontanéité, modeler la pâte particulière qu'est l'imagination en branle ou au travail ; j'aime dire que l'imagination est au travail. Le dessiner, le faire dessein, trace, est labeur.
Inktober comme "s'explorer".
Je dis : laisse résonner en toi la musique du mot du jour, la matière sonore et symbolique du mot quotidien. Peut-être sera-t-elle mélodieuse, ténue ou cacophonique ? Peut-être sera-t-elle plutôt rêche sous la langue, impropre à la manipulation labiale ? Si le mot borne ton imagination, au lieu de la soutenir, si le mot la clôture, l'encage, je dis : invente avec peu, réduis donc ta fantaisie, adapte ton enthousiasme, tords ton inventive fantaisie, explore ton être-créatif. Dessine, peint, trace, feutre dans la compagnonnage du ring, de l'enchanted, du misfit, du dizzy... et qu'importe les discordances.
Inktober comme "trace" Inktober comme "s'explorer".
Je dis : laisse résonner en toi la musique du mot du jour, la matière sonore et symbolique du mot quotidien. Peut-être sera-t-elle mélodieuse, ténue ou cacophonique ? Peut-être sera-t-elle plutôt rêche sous la langue, impropre à la manipulation labiale ? Si le mot borne ton imagination, au lieu de la soutenir, si le mot la clôture, l'encage, je dis : invente avec peu, réduis donc ta fantaisie, adapte ton enthousiasme, tords ton inventive fantaisie, explore ton être-créatif. Dessine, peint, trace, feutre dans la compagnonnage du ring, de l'enchanted, du misfit, du dizzy... et qu'importe les discordances.
Quand
je dessine en noir et blanc, j'ai tendance, en général, à surcompenser
la réduction de ma palette par un surcroît de traits, de hachures, de graphismes ornementaux, les
aplats s'en mêlent... Souvent, j'ai usé de "repentir" : j'aime dessiner dans mes tout premiers pas, le gribouillis, ils constituent ce pré-langage qui m'aide à aller plus loin. Le mot Inktober peut me plonger dans une sorte de torpeur, je la surmonte grâce à la trace que je pose n'importe comment sur ma feuille. N'importe comment ? Pas tout à fait, j'entame et "entrace" souvent le milieu de mon support. C'est par là que commence à s'écrire l'histoire.
Précision terminologique : le "repentir" fait référence à l'action en peinture ou en dessin consistant en la modification par l'artiste d'un premier tracé, d'un premier jet, par exemple, par l'ajout de personnages, d'éléments de décor, le déplacement d'une main, un changement d'angle de vue... Étudier le repentir permet de suivre l'évolution ou les mouvements d'une pensée créatrice en action, ou l’œuvre en train de se faire.
Précision terminologique : le "repentir" fait référence à l'action en peinture ou en dessin consistant en la modification par l'artiste d'un premier tracé, d'un premier jet, par exemple, par l'ajout de personnages, d'éléments de décor, le déplacement d'une main, un changement d'angle de vue... Étudier le repentir permet de suivre l'évolution ou les mouvements d'une pensée créatrice en action, ou l’œuvre en train de se faire.
Inktober comme "foi".
Il arrive que des idées énigmatiques submergent. Une forme informe, un dire qui n'a pas trouvé son langage, un halo d'intuition(s) ou le trop-plein familier, un patchwork, un rêve. On ne s'acharne pas, le cœur furieux, dans la hâte. Non. On avance, confiants, heureux, contente, de l'évènement. On griffonne ; on se bombarde d'images ; on se parasite. Dans l'attente que le chaos intérieur, son bruit assourdissant, se calme, se transforme. On se maintient dans la sensation... Et tant pis, si au bout du compte, le chemin n'est pas le bon. À vrai dire, on ne sait plus trop si ce qui apparaît sur sa feuille a un quelconque rapport avec le mot donné... On a fait cette formidable expérience : créer à partir de rien. Quasiment.
Inktober comme "exposition"
Ci-dessous, le diaporama des productions graphiques, majoritairement en noir et blanc, publiées d'abord sur Twitter. L'ordre d'exposition des images respecte celui de la liste des mots Inktober que j'ai choisi d'illustrer. À savoir : ring/ cercle, bait/ appât, husky/ costaud, swing/ balancer-çoire, dragon, ash/ cendre, wild/ sauvage, ornament/ ornement, sling/ lance-pierre, ghost/ fantôme, dizzy/ étourdi, tasty/ savoureux, dark/ sombre, coat/ manteau, injuried/ blessé, catch/ attraper. La dernière image illustre trois mots à la fois : ripe/ mûr - pattern/ motif - / enchanted/ ensorcelé.
Inktober comme "exercice"
Je prends le défi comme un exercice. L'objectif de l'exercice est triple : vérifier la/ ma capacité à comprendre l'énoncé et à se/ me débrouiller avec grâce à son/ mon expérience dans le dessin, mesurer, du coup, la solidité, la souplesse des savoir-faire graphiques et artistiques acquis, enfin, installer une situation inédite, les/ mes manques sont ainsi pointés, la nécessité d'une adaptation, d'un nouveau regard, d'un enrichissement des compétences langagières mis en avant. À force d'oser, d'explorer, d'expérimenter, d'échouer, de réussir, on se "spécifie", on gagne en efficacité, en pertinence, les intentions prennent corps plus rapidement, on rit de ses balbutiements primitifs. À force de s'aiguiser, on devient, je deviens, progressivement un instrument de précision. Maniable à loisir et aux multiples tâches et fonctions. Ça ressemble au bonheur, non ?
© ema dée
excellent !!!beau travail graphique, d'écriture et d'imagination...
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