Cette année, le concours d'illustration du Festival de Rouen Normandie du Livre de Jeunesse a proposé aux illustratrices et illustrateurs de mettre en images leur interprétation personnelle de la citation en rapport avec la thématique du festival "Les Animaux loufoques" dans la littérature de jeunesse francophone.
Voici la citation : "Je ne sais si le fait est exact ; ce qui importe aujourd'hui c'est que l'histoire ait été racontée et qu'on y ait cru." cf. Le livre des êtres imaginaires (= Manual de zoología fantástica) de Jorges Luis Borges (1957).
© ema dée
Voici la citation : "Je ne sais si le fait est exact ; ce qui importe aujourd'hui c'est que l'histoire ait été racontée et qu'on y ait cru." cf. Le livre des êtres imaginaires (= Manual de zoología fantástica) de Jorges Luis Borges (1957).
Dans son livre, l'écrivain et poète argentin (1899 - 1989) inventorie et décrit 120 créatures issues du Folklore, de la Littérature et des mythologies. Ainsi, l'Alincanto, le Baudet à trois jambes, le Cerbère, le chat du Cheshire, l'Hippogriffe, le Léviathan, le Lièvre lunaire, le Sphinx, le Troll, la Valkyrie ou le Zaratan...
Je profite de cet article pour ouvrir ici une parenthèse et revenir sur la manière dont je peux appréhender un sujet de concours d'illustration. Quand l'opportunité se présente, il me semble que ma manière de procéder varie peu ; je m'en vais la détailler, l’approfondir ci-dessous. Elle est couronnée de succès ou pas.
© festival Rouen Normandie du livre de jeunesse
Je profite de cet article pour ouvrir ici une parenthèse et revenir sur la manière dont je peux appréhender un sujet de concours d'illustration. Quand l'opportunité se présente, il me semble que ma manière de procéder varie peu ; je m'en vais la détailler, l’approfondir ci-dessous. Elle est couronnée de succès ou pas.
Face à un sujet, j’ai généralement deux réactions possibles :
- 1°) Rien ne vient. Il va me falloir alors faire des recherches, larges, c'est-à-dire sans rien m’interdire. Je n’aime pas beaucoup cette première réaction car elle m’oblige à chercher à exprimer quelque chose qu’apparemment je ne ressens pas la nécessité d’exorciser. Le résultat est souvent correct, passable mais à la limite du conventionnel. Il ne répond pas à une nécessité intérieure (quelle qu'elle soit).
- 2°) Quelque chose est là. Une intuition qui me vient mais comme dans un rêve, énigmatique et pas immédiatement accessible. Derrière son voile. Je vais devoir mettre en branle une suite d’actions me permettant de cerner l’objet de cette intuition, d’affiner l’idée par tâtonnements, associations, rebonds de l'imagination au travail. On comprend qu’ici, le défi est plus stimulant car on se sent déjà connecté(e) au sujet donné ; à sa manière, celui-ci a provoqué ou déverrouillé quelque chose en soi.
Il existe chez moi, cependant, une forme aiguë de cette réaction-ci : le trop-plein. Autrement dit, dans mon esprit, le sujet ouvre une boîte à idées qui ouvrent elles-mêmes d’autres boîtes à idées... Entre le vertige et l’excitation fébrile s'installe tranquillement la panique... Comment avancer dans ces ténèbres illuminées sans perdre le/ son sujet de vue ? Plus je vais creuser, plus je vais aller loin et profondément. C'est risquer de fournir, au bout du compte, une image hermétique ou absconse.
Dans ce cas (dans tous les cas, finalement), je fais intervenir des éléments imparables : le temps de réponse au sujet (limité), mes réelles capacités (créatives et matérielles) à donner corps à l’idée abracadabrante (ou monumentale) que je viens d’avoir, le respect par moi-même de mes propres contraintes, limites et besoins, en particulier, le besoin de gestation (de recul ! ) et celui de me documenter. (Et, dans tous les cas, je crée un cadre invisible à l’intérieur du cadre "précis" que représente le sujet et les exigences du concours.) Ces éléments imparables m'aident à faire le tri et à me canaliser.
Cliquez sur l'image pour découvrir quelques exemples.
Il se peut que je parte dans tous les sens malgré tout, par jeu ou pour trouver un dérivatif à ma panique silencieuse. Soit j’accumule de la documentation : je fais une recherche iconographique plus ou moins poussée sur internet ou dans mes propres archives, papier et numériques. Soit je griffonne intensément : je réfléchis crayon à la main ; je multiplie les esquisses sur carnets ou sur feuillets mobiles, je les annote beaucoup, au point que certains de mes crayonnés préparatoires et d'études s'avèrent illisibles pour un néophyte (comme pour moi !)
La parenthèse se ferme d'elle-même.
Le thème du festival est lui, pour le coup, de suite très inspirant. L'hybridité, l'anthropomorphisme, l'inexistant qui devient réel, tout cela m'emballe !
À force de faire, on acquiert des méthodes mais aussi on se connaît mieux, j'aime à penser et me répéter cela comme un mantra. Pourtant face à chaque nouveau sujet extérieur sur lequel il m'est donné de réfléchir et créer, j'ai l'impression de ne plus rien savoir, que tout est à réapprendre ; je suis soudain à la fois contente, pressée et désœuvrée face à l'ampleur de la tâche : réaliser une image inédite qui se tienne parfaitement.
Pour éviter la plongée dans mes profondeurs et le doute, je m’appuie fermement à la rampe que constituent la citation donnée, sa syntaxe et sa terminologie particulières. Dedans, je cherche une fenêtre d’entrée. D’emblée des idées me viennent, mais pas forcément en rapport avec la réponse. Dans mon musée imaginaire, il y a beaucoup d’œuvres qui mettent en scène ou représentent des animaux.
Pour éviter la plongée dans mes profondeurs et le doute, je m’appuie fermement à la rampe que constituent la citation donnée, sa syntaxe et sa terminologie particulières. Dedans, je cherche une fenêtre d’entrée. D’emblée des idées me viennent, mais pas forcément en rapport avec la réponse. Dans mon musée imaginaire, il y a beaucoup d’œuvres qui mettent en scène ou représentent des animaux.
© Peters Bernard © Bruno Gibert
Forcément, le sujet rebondit sur mes références. Toute une imagerie personnelle riche de créatures, d'êtres mélangés et d'histoires extraordinaires se déploie sans effort ! Je cite pêle-mêle : l’album de Judi et Ron Barrett Il ne faut pas habiller les animaux, le film L’histoire sans fin (= The neverending story), adaptation cinéma du roman de Mickaël Ende (1984), Peter et Elliott le dragon de Walt Disney publié dans la collection La bibliothèque rose aux éditions Hachette (1982), le fameux bestiaire issu du roman de Lewis Carroll Les aventures d'Alice aux pays des Merveilles (1869), les péplums découverts à l'adolescence tels que Jason et les Argonautes (1963), l'introduction de la série télévisée Les annales du disque-monde, adaptée des romans éponymes de Terry Pratchett (1983-2017), le tableau Le Cauchemar (1781-1782) peint par Johann Heinrich Füssli, les lithographies de J.-J. Grandville (1803-1847), Une semaine de bonté, roman-collage de Marx Ernst (1933)... et tant d'autres !
Tout mon bel enthousiasme ne doit pas me faire oublier la "demande" : il convient, en effet, de garder en point de mire ET en borne à ma créativité, le thème du salon du livre de jeunesse, les animaux loufoques, le cadre de référence, une seule image à proposer sur format papier A4, enfin, la citation proposée.
Cette dernière me semble, à mon humble avis, ouvrir sur plusieurs pistes. Elle peut renvoyer à la manière et aux moyens qui appartiennent à l’Illustration en général, aux stratégies et astuces qui sont du ressort de chaque faiseuse et faiseur d'images en particulier, pour "faire passer" un fait inventé pour vrai. Il peut s'agir de réfléchir à la réception de l'image par un public ou à la place de celle ou celui qui raconte, à son rôle de "médiatrice" ou de "médiateur" d'une "vérité". (Je recommande à cette étape-ci d'user de prudence : la lecture et l'analyse fines de la citation peuvent représenter une aide ou au contraire, un frein. Toutes deux doivent donc être menées en s'interrogeant en parallèle autant sur l'ambiance que sur le lien texte-image que l'on souhaite proposer (redondance, décalage, complémentarité...) dans son illustration.
Cette dernière me semble, à mon humble avis, ouvrir sur plusieurs pistes. Elle peut renvoyer à la manière et aux moyens qui appartiennent à l’Illustration en général, aux stratégies et astuces qui sont du ressort de chaque faiseuse et faiseur d'images en particulier, pour "faire passer" un fait inventé pour vrai. Il peut s'agir de réfléchir à la réception de l'image par un public ou à la place de celle ou celui qui raconte, à son rôle de "médiatrice" ou de "médiateur" d'une "vérité". (Je recommande à cette étape-ci d'user de prudence : la lecture et l'analyse fines de la citation peuvent représenter une aide ou au contraire, un frein. Toutes deux doivent donc être menées en s'interrogeant en parallèle autant sur l'ambiance que sur le lien texte-image que l'on souhaite proposer (redondance, décalage, complémentarité...) dans son illustration.
photos de deux esquisses au crayon © ema dée
Dans ma création graphique courante qui procède beaucoup par inventaire, série, imagier – collections (ou variations) sur un même thème –, cela se traduit en premier lieu par la mise en scène et le style graphique. Ma recherche documentaire m’aura finalement et progressivement orientée vers les planches documentaires, de botanique, de zoologie (vraies ou imaginaires), ramenées par les voyageurs (mobiles et immobiles) ainsi que toute leur esthétique : esthétique du catalogage et de la classification (indexation, numérotation, datation, informations complémentaires variées, historiques, comportementales et/ ou anatomiques...), esthétique du récit de voyage (dessins d'observation, illustrations, diversité des outils de représentation et/ ou des supports...) En second lieu, mes créations aiment le clin d’œil, l'hommage, par exemple, aux gravures, aux imageries d'Épinal...
Une fois l'interprétation personnelle trouvée et la direction d'illustration choisie, j'en donne plusieurs versions, pour moi-même. Car j'hésite. Toujours et encore. Tiraillée entre plusieurs réponses, qui me semblent contradictoires. L’illustration finale envoyée au jury du festival présidé par l’auteur - illustrateur Bruno Gibert est en fait une sorte de synthèse. Un équilibre en images qui concilient deux tendances graphiques contraires, à priori : le trait naïf, rond et bonhomme d'un côté ; le trait précis et fouillé, de l'autre.
Pour découvrir les 20 coups de cœur du jury professionnel 2019, cliquez sur la créature hybride ci-dessus.
© ema dée