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mercredi 27 avril 2022

Situation plastique 4 : Composer un portrait à partir d'images publicitaires

Plus besoin de préciser comme j'ai pris l'habitude de dessiner des figures féminines. Souvent imaginaires, les physionomies présentées empruntent néanmoins à la vie quotidienne. Cette vie quotidienne qui me permet en particulier de faire des rencontres, véritable vivier d'images jamais à sec. Sous bien des formes : formes muséales, je m'imprègne des modèles choisies par les peintres, les sculptrices et les sculpteurs, les artistes photographes ; plus rarement, formes cinématographiques, je saisis alors à grands traits, dans mon carnet d'esquisses et mue par une envie soudaine, les contours, le contre-jour, le clair-obscur, devenant parfois familiers de quelques héroïnes de dramédies ; plus souvent, formes stéréotypées prélevées dans des magazines. À la manière d'une Marlène Dumas d'une certaine époque, je recycle les corps, les visages, je transforme, je combine ou j'extraie, je digère.

Retour donc à l'atelier baptisé "Situation plastique" dans lequel j'ai déjà réalisé trois productions inédites associant, dessin, peinture et collage (s) : un paysage arboricole grand format ainsi que deux groupes de personnages féminins symboliques, sur papier et/ ou carton. (C'est là une forme d'hygiène : je fais ici un pas de côté ; cet atelier est tel un chemin de traverse qui me permet de prendre du recul vis-à-vis de ma production plus "courante".) Cette fois-ci, l'exercice, tout en articulant la même problématique, celle que pose la ressemblance et l'écart, part de plusieurs images en couleurs préexistantes. Je les conserve depuis des années dans un classeur muni d'intercalaires thématiques : ainsi, "Mises en scène", "Accessoires - Mode", "Déco Intérieure - Extérieure", "Portraits", "Motifs" ou encore, "Enfance(s), "Freaks - Fantaisistes" et "Visages du Monde". Ce sont là des archives personnelles fabriquées et entretenues sur le conseil lointain d'une autrice - illustratrice, toujours d'actualité (le conseil comme l'autrice !) Elles viennent répondre à un besoin de m'appuyer sur une image immédiatement disponible et qui en quelque sorte m'appartient. Quand le besoin n'est pas satisfait, je vais chercher plus loin ; elles représentent, par conséquent, mon premier niveau de références "non artistiques".

La consigne de l'exercice ? Produire une réalisation qui mette en œuvre une tension. Plus simplement : si je m'intéresse, comme l'artiste peintre français Eugène Leroy  à la figure et à la matière picturale chargée, voire très chargée, peut-être qu'il s'agit pour moi de faire dialoguer le couple disparition - émergence de la figure ou la dialectique effacement - surgissement du sujet ? Nulle recherche, pour l'instant,  d'une telle tension chez moi, bien qu'elle soit très intéressante à réfléchir maintenant que j'y songe. Non, chez moi, il est davantage question d'explorer mille et une façons ou presque de produire un écart signifiant vis-à-vis d'un référent, mille et une façons de créer une image qui vienne y puiser  et s'y ressourcer, sans la copier. (Et sur les ruines des images modèles malmenées par le regard, hisser son propre style, assumer et imposer de facto son propos.) 

J'extraie de mes archives papier des photographies qui ont composé, dans la presse de l'Underwear branché, une des premières campagnes publicitaires de la marque de vêtements japonaise Uniqlo©. Il s'agit d'une pub pour une gamme de leurs T-shirts très pop culture, dans laquelle une vingtaine de jeunes gens, hommes et femmes, posent "naturellement" devant l'objectif sur fond blanc. À l'issue de rapides études au cours desquelles je redessine quelques visages masculins et féminins, j'en choisirai finalement trois, qui me semblent pouvoir composer, à l'issue de tâtonnements dont je ne peux faire l'économie, un ensemble harmonieux.

Première transformation : trois photos de femmes distinctes, seules dans leur espace de présentation, formera un portrait composé de trois figures. Le support est important : j'utilise un carton gris fin qui ne gondole pas au contact de la peinture acrylique. Je décide de travailler à l'aide d'une seule largeur de pinceau, une brosse plate. (Peut-être ai-je été un peu influencée par ma redécouverte des portraits de femmes peints par l'artiste impressionniste Berthe Morisot, j'explore par endroits le non peint/ non fini). Seconde transformation : la traduction d'un sujet dans un autre médium avec des caractéristiques précises. À moi de les respecter ou au contraire, de leur imposer ma "volonté". Troisième transformation : le sujet advient à partir de la combinaison d'un choix pour une composition centrée, frontale, et d'un travail particulier, plus ou moins collaboratif,  avec un médium ; ils participent tous deux de l'écart d'avec l'image-modèle. 

Une première version advient. Je remarque la ressemblance qui s'est tissée entre les trois figures ; elle n'était pas préméditée. Cela tient, sans doute, à ma manière de peindre le fond et les figures  l'exécution est en effet assez homogène. C'est qu'il s'agissait avant tout de construire une composition équilibrée à partir de sujets photographiques pris sous des angles différents. Il a été aussi question de les organiser à des fins artistiques. L'idée poursuivie ? Que l'image définitive, fruit d'un savoir-faire et d'un parti-pris technique, devienne une image à part entière, c'est-à-dire porteuse de sens. À l'intention du spectateur. Du coup, je reprends mon intention de départ, à son point d'origine, en portant une attention plus grande à la façon dont je manipule la matière picturale. Je travaille cette fois-ci sur un format plus petit. Ceci, pour éviter que la création se confonde avec une recherche visant à remplir vaille que vaille le support et s'oriente plutôt vers une action dynamique visant à montrer un regard singulier porté sur ce trio de jeunes femmes de caractère.

Cette seconde version valorise manifestement le personnage central ; ce qui était moins le cas, il me semble, dans ma production précédente. Une valorisation qui confine à une sorte de hiérarchisation voire à un décalage dans le temps, là, où, auparavant, les trois femmes semblaient représentées dans une temporalités et un lieu uniques. Pour ma seconde réalisation, l'application de la peinture se fait plus vive, rapide, plus visible dans ses mouvements, le geste n'hésite pas à s'interrompre. Enfin, je tente d'autres approches "stylistiques" dans le but de renforcer la singularité de chacun de mes trois modèles. Différenciation importante qui avait été gommée. Elle s'appuie, me semble-t-il, sur des combinaisons gestes - médiums : par exemple, le détail, le vide et le stylo feutre (gauche), le  mouvement, le grattage et un mélange de peinture et de colle PVA (à droite), la réserve, l'inachèvement et les techniques mixtes (milieu).

Avec le recul, ces deux travaux datent de la fin de l'année dernière, je serai moins sévère dans mes jugements. Il s'agit au final de deux productions différentes qui ne montrent  ni ne s'intéressent à la même chose. De la première ressort une sorte d'uniformisation qui est due à au choix de médium et de la touche, mais pas seulement. La publicité de mode aurait tendance à offrir un inventaire  de formes formatées, à l'image du produit, de la cible, en lien avec un contexte social et culturel et à l'écoute des mœurs à la source des modes. Aussi, prendre trois figures photographiées dans une intention commerciale et gommer, par une uniformisation du geste peint, les différences volontairement mises en exergue (origines, attitudes) dans un esprit faussement "naturel" permet de requestionner les bases du langage de ces images auxquelles n'importe qui peut se référer et est sensé s'identifier (ou au contraire, se dégager, dans un processus social d'identification). La seconde réalisation, pour sa part, insiste davantage sur la construction d'un espace de représentation plastique qui cherche de manière assumée à faire oublier le modèle de départ. D'elle se dégage un sens qui n'était pas contenu de manière évidente dans les images d'origine comme posant un problème et qui s'affirme, par les choix de composition et de facture, comme une réponse à une question à la fois plastique et artistique. Enfin, plus je regarde cette réalisation plus elle me susurre une histoire qui demande à être prononcée. On verra.

©ema dée

lundi 11 avril 2022

Le nez, la main, les yeux dans une sélection de mes "livres uniques"

Profitant d'un rangement de printemps, je remets le nez, la main, les yeux, dans des projets livresques personnels, dont certains ont été laissés en suspens, faute d'idées de développement sur le moment, en particulier en matière de façonnage et de reliure. Dans l'intervalle — les premiers livres datent de 2008 —, j'ai cherché à me former justement sur ces questions qui me passionnent. Auprès de professionnels·elles, dans des lieux dédiés, j'ai réussi à glaner et dénicher de-ci de-là quelques petites combines et ouvrages de soutien qui ont pour ainsi dire donner de la souplesse, de l'agilité — de la créativité  ! — à mon esprit comme à mes mains. L'article propose un retour sur un choix de réalisations personnelles. (Pensez, d'ailleurs,  à faire glisser la souris sur chaque image et/ ou à cliquer dessus.)

Par exemple, je participe à des ateliers sur le Livre : notamment, conduit dans l'ex-librairie-galerie Les Trois Ourses dans le 3ème arrondissement à Paris, par l'artiste Gianpaolo Pagni, comment faire un livre avec des journaux et du scotch. Tout simplement. Lui-même s'est lancé dans l'édition en partant de son obsession pour les tampons et les séries sur papier.... 
Ou, je découvre des événements — le salon nomade Multiple Art Days, le Festival les FMR à la Halle Saint-Pierre — , ou alors des procédés de reproduction d'images tels que la risographie au sein de l'Atelier Édition de l'ENSBA de Paris ou de reliure (Service de la Conservation de la bibliothèque de l'Institut national d'Histoire de l'Art)... 
Je fais l'acquisition de livres spécialisés : ainsi de Les livres de Bruno Munari de Giorgio Maffei (Les trois Ourses, 2009), Coxcodex de l'artiste designer et concepteur de livres illustrés Paul Cox (éd. du Seuil, 2002), de l'ouvrage Esthétique du livre d'artiste : une introduction à l'Art contemporain années 1960/80 d'A. Moeglin-Delcroix (Le mot et le reste/ BnF, 2011), une bible ! 
Ou encore, je redécouvre grâce à Twitter et Instagram les livres d'une foisonnante créativité des éditions Esperluète, La Joie de Lire, Mémo, Frémok ou d'auteurs·trices, tels que Kvetà Pacovska, Eric Carle, Loren Cappelli... Enfin, je consulte à loisir un très petit catalogue d'exposition consacré aux livres d'artistes mexicains intitulé Les autres livres : livres d'artiste (éd. Conseil national pour la Culture et les Arts, Mexico). Il m'a été offert en 2009 au Salon du Livre Paris et siège dans ma bibliothèque depuis. Ce ne sont là que quelques pages, mais quelle richesse !

(Déterminer si et à quel point ces livres m'ont influencée, se retrouvent dans la conception ou la facture ou encore le contenu de mes livres, je ne saurais le dire. Suis-je la meilleure juge de mon travail et de son interprétation ?  En tout cas, ce qui est certain, c'est que voir des créations livresques et diverses formes d'un art que l'on peut qualifier "d'éditorial" me stimule d'une manière ou d'une autre. Disons qu'ils constituent un fond de références qui s'enrichit continuellement parce qu'il vient nourrir ma production ; elle est réflexive et nécessite donc de nouvelles références ou de réinterroger celles que je possède déjà.) 

Les réalisations dont il est question sont en fait des livres dits "uniques"*: le plus souvent, ils n'existent qu'en un seul exemplaire, car ils sont la forme concrète d'une intuition dans un parcours un cheminement de pensée ou d'un besoin d'articuler ensemble différents paramètres, contraintes, matériaux. Par exemple, pour créer ces livres, j'investis des carnets de Moleskine, je manipule des chutes de papier de formats similaires, c'est-à-dire que je les creuse, les coupe, les couds, les relie, les colle, ou les agrafe entre elles... Et ceci, en associant une réflexion sur le temps de lecture et l'espace de la page (influencée par une certaine conception de l'acte de lire comme la développe l'autrice-illustratrice Anne Herbauts) à une recherche-création sur les mots et la forme finale de l'objet à lire. 

*J'emprunte la terminologie à la galerie d'Art contemporain La Topographie de l'Art qui propose, en autre et depuis 2015, un évènement artistique régulier, Livres uniks.

Le papier est mon matériau privilégié ; j'aime le diversifier, en fonction de mes chutes, du hasard qui me fait chiner dans des fins de séries chez des soldeurs, et bien sûr, en fonction de mes intentions (recherche de transparence, de souplesse, de douceur ou au contraire, de rugosité). Les papiers sont choisis pour leur qualité, leur couleur, leur texture, leur épaisseur naturelle et leur manière de réagir à des traitements comme le marouflage ou la découpe au cutter (ou au scalpel).

En ce moment, j'avoue que j'utilise beaucoup de papier calque surtout celui de 150g, car il  est aussi résistant qu'il est opaque ! J'utilise aussi du papier recyclé brun, non par goût, mais parce que je viens d'en récupérer fortuitement une grosse quantité, dont je cherche à tirer le meilleur profit. Enfin, du papier Japon qui une fois enduit de colle, durcit et peut être travaillé, il forme alors des bourrelets et des plis très inspirants... Concernant le façonnage et la reliure, tout dépend de l'épaisseur du projet : un carnet de Moleskine verra seulement sa couverture découpée, alors que des morceaux de feuilles de papier rassemblés à la main en cahiers seront réunies définitivement à l'aide d'une reliure cousue avec du fil ou en dos carré-collé "maison". Les volets indépendants offrent, pour leur part, diverses possibilités de présentation, étui de papier fort, corde de liaison, contrecollage de renforcement.. 
 
Les contenus affectent l'intégrité des pages ; il arrive que celles-ci soient découpées pour les besoins de l'expression, le sujet. Les contenus peuvent aussi se déployer selon le type de support : ainsi, des carrés de couleur dans un livre de format carré. Dans ces livres uniques, j'aime dire que sont valorisés trois types de contenus dont les limites s'avèrent poreuses : les collections (inventaire, catalogue, abécédaire, typologie), les variations thématiques (portraits, taches, couleurs) et les écrits de l'intime (souvenirs donnés à lire souvent sous forme de listes). 

Les collections se créent opportunément ou volontairement : je décide dès le début de produire sur carte d'art un papier épais et très blanc —, un numéraire consistant en la représentation d'une suite de cailloux en style naïf, à l'aide d'encres aquarelle posées au pinceau. Mais, c'est au fil de la création que je rassemble dans des feuilles de papier Da Vinci des couleurs aqueuses et y vois l'occasion d'y associer des mots personnels. La dimension des écrits, l'intime, bien qu'elle investisse certains livres plus que d'autres, reste la colonne vertébrale de ma production allant de 2008 (Couleurs) à 2022 (Se souvenir des arbres). 
 

Cette production-ci est marquée du sceau d'un certain paradoxe. Je m'explique : le souhait de développer certains livres en quantité me pousse à recourir parfois à des reliures semi-industrielles (#04700 in Se souvenir des arbres) ou à de la reprographie pour faire des tests. Néanmoins, le goût prononcé pour des supports variés dans un même objet explique que le prix de revient des livres s'ils devaient être imprimés et reliés en nombre serait élevé. Au final, d'une manière assez logique, ces projets-là sont voués à rester des exemplaires uniques. 

D'une manière délibérée, cette réalité fait le lit d'une création artistique et livresque destinée à se déployer exclusivement dans des objets uniques. Et puisque je sais que je ne désire pas en faire plus d'un, chaque livre constitue une seule et véritable expérience de création personnelle (graphique, plastique et/ou littéraire).

Une inquiétude émaille toutefois cet élan de créativité décomplexée : comment proposer ces œuvres à lire à un public ? Et dans la perspective de partager ce travail de recherche-création, dans quelle mesure ces objets sont-ils adaptés, adaptables tout bonnement, "partageables" ? La réception des œuvres livresques est dans mon parcours un vrai questionnement. D'abord, parce que leur facture est souvent le résultat de gestes pas toujours prémédités qui se soucient plus de la cohérence plastique que du futur partage de regards. Ensuite, parce que très concrètement, ils n'ont pas été pensés en amont pour être utilisés comme des livres de bibliothèque.

Peut-être qu'à l'instar de l'autrice-illustratrice de livres pour enfants Kitty Crowther, je bâtis mes livres pour un·e seul·e lecteur·trice à la fois l'intimité du geste créatif commandant en quelque sorte l'intimité de la réception ? Cela étant précisé, et outre la leçon tirée de l'expérience de monstration d'un autre pan de ma production livresque (Salon SoBD 2021), il me semble qu'il devient de plus en plus incontournable d'intégrer dans ma démarche, la possibilité pour un public amateur ou novice d'avoir accès, d'une manière ou d'une autre, aux contenus de mes "autres" livres... Devrais-je songer à la vidéo ? Aux montages photos ?

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RÉITÉRATIONS : rappels des titres et principes des livres présentés dans cet article (dans leur ordre d'apparition)  :

Moi ?, 2016 : un livre-portrait réalisé en découpes au scalpel et au cutter, rehaussé d'un collage en papier Japon rouge.

Vagues à l'âme, j'ai tant pleuré enfant, 2016 : un carnet mêlant sur papier satiné des taches de couleurs à l'encre aquarelle et des bribes de pensées écrites au feutre.

Le compte des pierres et Balade, 2016 - 2022 : feutre, plume, aquarelle et crayon dans un diptyque créé à la faveur de promenades.

Couleurs, 2008-2022 : présentation de carrés de couleurs à l'encre aquarelle et leurs petits mots dactylographiés et collés.

#004700 et Petites pensées arboricoles, 2014-2022 : deux exemples de travaux sur le thème "Se souvenir des arbres"  menés en work in progress.

Une première version de ces livres-ci et d'autres livres uniques sont visibles sur la page "OBJETS LIVRES"

 ©ema dée