Interstissage #2 : dans ce second projet artistique, je m'insterstisse0 à un texte littéraire, avec pour mot d'ordre, produire une oeuvre inédite composite à partir de ce texte, et pour directive, faire appel à tous les moyens d'expressions éprouvés, connus, pertinents. À l'issue d'un parcours réflexif et d'une lente gestation, une histoire, je propose une lecture à voix haute (performative poétique) faisant intervenir, à la fois, le corps (fragment), la voix (off), l'image (composée), le bruit (artisanal) et l'objet.
Tout d'abord, il y eut une rencontre...
Il
était une fois un texte littéraire qui avait été photocopié sur quatre
feuilles blanches A4, puis agrafé une seule fois, afin d’être diffusé et
découvert de la manière la plus accessible parmi et par une communauté
de jeunes esprits réunis.
Imprimé à l’encre noire au recto comme au verso des feuilles blanches susmentionnées, le texte était et est toujours un extrait, c’est-à-dire un fragment honorable d’une œuvre littéraire
d’importance. Par honorable, il faut comprendre judicieux ; le
fragment, sans renfermer la quintessence absolue de l’œuvre littéraire
d’importance qui l’englobe, donne une image assez représentative et
parlante — mais pas bavarde —
de ce que l’œuvre d’importance peut être et est au bout du compte, dans
son entièreté : un morceau expérimental, un objet littéraire non
identifié (ou OLNI), une singularité textuelle post-moderne traitant avec un
humour mâtiné d’ironie de la mort comme traversée et, paradoxalement, comme expérience de vie.
La
portion pertinente mais non limitative de la singularité post-moderne
imprimée en noir sur le blanc légèrement ombré de bleu des quatre
feuilles fut notamment mise entre les mains pleines d’esprit d’une
étudiante temporaire à l’Université du Havre. L’étudiante en pèlerinage
créatif et aux mains pleines de livres aimait les migrations et les
expéditions en tous genres, surtout celles susceptibles de raffermir ses
compétences dans la Maîtrise ancestrale des mots-images. La fille
s’intéressait, en effet, au plus élevé des points — et des degrés —, à la création dans ses us et coutumes les plus diverses, comprenons, protéiformes, surprenantes, engagées, critiques — artistiques, quoi !
Elle fut donc raffermie. L’évènement se déroula il y a de cela un certain temps.
L’étudiante en est là, assise sur sa chaise havraise, dans un tête-à-tête circonspect avec un OLNI : une liste des transmutations subies par des carcasses de personnalités et de personnages célèbres
et présentées les unes à la suite des autres, comme entassées dans la
lecture. Malgré son esprit alerte et respectueux que n’entame en rien
son identité d’emprunt, la dite pèlerine ne saisit pas exactement ni
précisément — encore moins avec acuité —,
en quoi la liste distribuée parmi ses congénères et elle-même peut être
le fragment d’une singularité digne d’être rencontrée durant le siècle
en cours. Aussi, une fois son pèlerinage terminé, la fille bien
spirituelle et bien patiente range pieusement le texte, l’encre
imprimée, l’agrafe et le message, dans un lutin de format A4 à
couverture noire et ses 120 vues en plastique transparent, qui se froissent bien trop facilement (cela est tout à fait hors sujet mais devait quand même être signalé).
Le
texte est ensuite comme qui dirait... archivé, à la suite d’autres
choses écrites et imprimées au contenu non moins sibyllin... dans
l’attente de.
Le
fragment honorable fut longtemps regardé, avec une attention certes
très scrupuleuse, cependant telle une chose curieuse dont on s’attend à
résoudre l’énigme sur son lit de mort. Pour sa part, le fragment restait
confiant, certain d’être au moins l'une des portions la plus
intéressante de la singularité post-moderne évoquée 31 lignes plus haut.
Et à ce titre, il serait un jour ou l’autre à la fois lu ET compris ET
manipulé avec l’attention scrupuleuse qu’il sied à sa nature si
particulière.
Puis,
vint une question : comment incarner dans l'objet la lecture d'une
liste traitant d'une manière originale de "métamorphoses" ?...
La
clarté lumineuse du message contenu dans l'extrait, son intention et le parti-pris d'écriture, mit
néanmoins un certain temps à parvenir à l'esprit de l'ex-pèlerine.
Malgré la grande assurance en qualité de texte singulier que possédait
le texte singulier, il résistait à la manipulation de l'experte en la
matière verbale. Ce moment-là, c’est-à-dire le jour où son contenu, son
message, sa musicalité, son auteur, Raymond Federman1,
peut-être, même simplement, la sensation sous les doigts des quatre
feuilles sur lesquelles le texte fut imprimé accédèrent à la
reconnaissance et la compréhension méritées, arriva à un moment donné.
C’est
que tout occupée à relier les choses entre elles par des liens (et des
ficelles fantastiques et dans des dispositifs aux protocoles secrets),
l’étudiante qui ne l’est que sur le papier à présent, quoique parfois,
entre minuit et cinq heures du matin, des bribes de sa vie estudiantine
lui reviennent en bouche comme un âcre sursaut de nostalgie, donc
l’écrivaine herbue cherchait l’idée. Et cherchant l’idée, elle amassait
d’autres expériences visuelles — et muséales —,
le plus souvent. Et cherchant l’idée, elle attendait que le lien entre
les choses qu’elle aimait et les choses qu’elle voulait dire se fasse.
Que les ficelles se tressent en un ouvrage fantastique, remarquable — motivant. Qu'un dispositif arrive avec son protocole secret. Et que l’Idée avec un grand I pour Intuition Imagination et Invention, émerge.
C’est
que confinée dans l’atonie paralysante de l’esprit qu’induit le roulis
du quotidien, l’idée dans le corps végétal végétait. Elle advint un jour
— sans éclat, mais enfantine et grave —, derrière les aspects changeants de la Lecture2 à voix haute et ceux ludiques du cerceau3
(= hula hop). Deux activités que la femme affectionne beaucoup. La
première parce qu'elle est aussi le véhicule d'une pensée étrangère à
interpréter ; la seconde pour son potentiel (ré)créatif, performatif et symbolique.
C'est maintenant que des précisions sur la création inédite accessible en cliquant sur l'image ci-dessus s'imposent...
Précision n°0 : Ce qu'est l'interstissage ? Une démarche de création personnelle développée au cours de mes études universitaires en Création littéraire et visant à l'interprétation d'un univers artistique (plastique, graphique, littéraire...) à travers les ressources de ma propre pratique. Le but ? Proposer un troisième univers autosuffisant : une œuvre inédite.
Précision n°1 : Raymond Federman (1928-2009), romancier et poète franco-américain, auteur de Les Carcasses (éd. Léo Scheer, 2009), a également écrit le "racontar"
autofictionnel La fourrure de ma tante Rachel : roman improvisé en (triste) fourire.
Cette oeuvre-ci a connu plusieurs publications, notamment aux
éditions Circé (1996) ou chez Al Dante, dans diverses collections (2002
et 2009). Dans le premier, selon moi, R. Federman propose avec humour de déjouer la
mort comme fin de tout (et de toute chose) ; le second met en scène à
la fois le souvenir traumatique d'une expérience précoce de la mort et
une analyse des stratégies de l'écriture littéraire de l'intime. Aux adultes, j'en recommande la découverte.
Précision n°2
: Cette lecture performance poétique est le résultat d’un entraînement
de compétition autant à la lecture qu’au maniement gracieux du cerceau
et de la frappe en rythmes et d’une main d’un pichet en métal peint en
blanc — et rouillé
par endroits. Ce que j'ai fait : figurer trois fois le temps. Comme
succession délirante d'évènements, par l'articulation rythmée d'une
liste ; comme expérience humaine, par l'intégration de mon corps dans le
cerceau-cycle quasi ininterrompu : comme objet esthétique, par la mise
en scène.
Précision n°3
: Aucun cerceau rose ni pichet blanc ni jupe à pois n'ont été
maltraités durant l'enregistrement de cette première expérience de
lecture performance poétique filmée et réalisée dans une chambre close,
dans une certaine contrée.
© ema dée