L'intention de présenter de façon critique mes travaux plastiques et graphiques sur grand format réalisés au cours d'ateliers de pratique artistique en 2021 et en 2022 se poursuit.
Aujourd'hui, j'aimerais revenir sur une production qui met en scène mon sujet favori, le personnage imaginaire. Dans ma démarche, les personnages imaginaires semblent venir de nulle part, tant ils ne ressemblent à rien de ce qui se connaît ou de ce qui se fait - à première vue. Pourtant, parce qu'il m'arrive de m'amuser à faire de manifestes références à des artistes qui ont croisé ma route, lors d'expositions muséales le plus souvent, ces étranges étrangers deviennent comme familiers. Du moins, je l'espère !
À la question de savoir ce que ces personnages veulent dire, il m'est difficile de répondre. Je crois qu'il s'agit d'abord pour moi de rassembler dans un même corps — peint ou dessiné — plusieurs idées et envies (de matières, de lignes, de composition) et de voir comment ces données plastiques interagissent entre elles pour donner forme à un ou plusieurs être(s) cohérents. C'est ensuite que vient le sens de ce qui a été fait. Et c'est ensuite que peuvent surgir des directions de travail à venir, ou pas. Comprendre qu'un travail n'offre pas de piste d'approfondissement ultérieur immédiat est paradoxalement reposant.
Contexte de recherche-création : sans commande ou contrainte, consigne ou invitation, point de mise au travail efficace. Aussi, voici celle qui cadre cette production : "Produire une oeuvre sur un support de format libre avec ses techniques habituelles. Elle devra réutiliser des caractéristiques de sa pratique graphique et/ ou plastique". Ici : ma relation au rapport vide/ plein.
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Sujet n°2 : Un groupe de personnages imaginaires - Articuler intention artistique et pratique plastique
Le parti-pris de cette réalisation sur carton gris et de format carré a été d'articuler une recherche sur la couleur et le trait ainsi que sur la relation vide/ plein, dans une composition où la figure tient une place centrale. Le personnage est ici représenté dans un groupe de cinq figures féminines, en portrait buste. Elles ont été produites à partir d'un seul modèle, ou matrice, qui a fait l'objet de variations à partir de calque et de papier transfert. Je souhaitais que mes cinq figures se ressemblent tout en étant chacune singulière. La duplication m'offre l'avantage de d'essayer d'abord différents dispositions avant de me décider définitivement pour la superposition des ces figures les unes sur les autres. Ce procédé de glissements et de montage à la main me permet de suggérer un espace, une alternance qui creuse et dynamise le fond coloré, comme j'ai pu l'observer chez un peintre comme Paolo Uccello dans son tableau La bataille de San Romano (1440). Cet espace est obtenu à partir de la superposition et le dialogue entre plusieurs couches de peinture acrylique (blanc, vert, rose, noir, principalement). La peinture a été utilisée volontairement peu diluée afin de pouvoir rendre des effets de matières, des aspérités nettement visibles, grâce à l'utilisation de divers outils picturaux et non picturaux (pinceau, papier frotté, ficelle collé puis arrachée, rouleau...) Certains morceaux de papiers peints seront d'ailleurs conservés en réserve pour d'éventuels collages ; ils viendront, par exemple, accentuer la planéité de l'espace, une autre des caractéristiques de ma pratique.
Travailler le support au préalable facilite les étapes suivantes, c'est pour moi une première étape plastique qui le fait déjà vivre en tant qu’œuvre en cours et m'effraie moins. Sur cette couleur texturée, ce support qui a vécu, le trait tracé au rotring et au feutre fin est irrégulier, ce rendu intentionnel confère une forme de fragilité aux contours de les personnages et facilite l'installation d'une tension avec les zones pleines : les cheveux seront peints à l'encre de Chine, celle-ci sera ensuite grattée, dans un but naturaliste ; les cinq bustes seront, pour leur part, recouverts de motifs décoratifs, naïfs, patiemment dessinés avec plusieurs marqueurs. Les rapports vide/plein et trait fin/ zone colorée viennent accentuer l'alternance devant/ derrière et créer dans une composition qui exacerbe cependant la planéité du support, un mouvement. Les motifs répétés répondent en outre à une nécessité de donner à la figure une corporalité. La figure est volontiers imaginaire, d'où le choix d'une carnation de peau non réaliste. Cependant, le dessin, basé sur une duplication, résonne avec une recherche esthétique et artistique sur le groupe que je peux synthétiser en posant deux interrogations : comment vivre sa singularité à l'intérieur d'un groupe ? Peut-on véritablement être dissemblable et exister en relation avec les autres ?
©ema dée