https://nsm09.casimages.com/img/2019/02/24//19022407010214387616133952.pnghttps://nsm09.casimages.com/img/2019/02/24//19022407010314387616133956.pnghttps://nsm09.casimages.com/img/2019/02/24//19022407010314387616133953.pnghttps://nsm09.casimages.com/img/2019/05/18//19051811441314387616242579.pnghttps://nsm09.casimages.com/img/2019/02/24//19022407010314387616133954.pnghttps://nsm09.casimages.com/img/2019/02/24//19022407010214387616133951.png


Affichage des articles dont le libellé est ATELIERS/ Objets plastiques. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est ATELIERS/ Objets plastiques. Afficher tous les articles

lundi 27 janvier 2025

Situation plastique n°7 : Créer une marionnette soi-même.

J'ai commencé à fabriquer des poupées l'année où j'ai eu un accident de travail qui m'a forcée à rester assise pendant plusieurs semaines. Une envie m'a prise, soudaine, d'assembler des bouts de tissus ensemble pour figurer des corps de femmes. C'était en 2009. Il reste peu de traces de cette première production brute et spontanée. Cependant, je l'ai poursuivie dans différentes directions, jusqu'au jour où je me suis demandé si ces créations, hésitant entre la poupée et la sculpture, ne pouvaient pas plutôt être conçues pour s'animer ou prendre place dans une histoire. Je n'ai pas encore répondu à cette question, précisément ; par contre, j'ai souhaité explorer la pratique de la Marionnette.

******* 

Marionnette n°1 : Marion

Contexte de création : Un atelier d'art-thérapie auquel je me suis inscrite avec l'envie de bousculer mes habitudes créatives, de me surprendre en travaillant avec des outils et des médiums inédits ou en utilisant autrement des techniques graphiques et plastiques plus familières.

Durée de la création : J'ai commencé ma marionnette en juin de l'année dernière. Je l'ai terminée pendant les vacances d'été, en m'y mettant sérieusement et en avançant tranquillement, par étapes.

Déroulement : L'envie de créer une marionnette était cachée dans les replis de ma création quotidienne. Je fais du modelage et de la couture depuis un moment, autour de l'idée de fabriquer un inventaire de femmes en volume ; j'ai réuni de la documentation sur le sujet dans la perspective de m'y mettre un jour. Pour autant, pour le démarrage, j'ai suivi essentiellement les conseils de mon art-thérapeute. 

Le point de départ est une tête fabriquée en argile à partir d'une boule de polystyrène achetée dans un magasin de loisirs créatifs et montée sur un support fait à la main, pour faciliter la création des détails et la manipulation. Un point important : penser à modeler un cou suffisamment long terminé par un petit bourrelet. Pour faire les yeux, il existe différents manières de procéder : nous avons choisi celle qui consiste à dessiner plusieurs propositions au feutre de couleur sur une feuille de papier, à les découper et à les positionner à l'aide d'une pastille adhésive de Patafix, pour pouvoir tester des regards variés, séducteur, inquiétant, drôle, interrogateur, hagard...  Un point de vigilance, la hauteur des yeux. Il faut en effet veiller à ce que la marionnette ait l'air de regarder son public en face. Il faut donc déjà à ce stade de la fabrication se projeter dans la mise en scène. Pour le reste du corps, on choisit l'option gaine, façonnée dans un tissu quelconque, qui sera ensuite recouverte d'un costume que l'on coud à certains endroits. On prévoit que cette dernière soit reliée au cou pour ma part, je l'ai cousue puis collée. Le petit bourrelet facilite bien cette étape. Les mains sont également faites en argile ; je prévois qu'elles puissent être mises en mouvement en enfonçant dans chacune une petite tige en bois, par exemple, un bâtonnet de glace. Pour cette étape-ci, j'ai dû me débrouiller seule : les deux mains seront collées à l'intérieur de la gaine. La taille des bras correspond peu ou prou à celle de  mes doigts. La marionnette est dite cul-de-jatte car elle n'aura ni jambes ni pieds. Aussi, le façonnage et la mise en place du costume sont-ils simplifiés ! 

La personnalité de la marionnette dépend bien sûr de l'expression de son visage, mais aussi de sa tenue vestimentaire choisie souvent en fonction de son rôle dans une histoire. Elle doit être un peu caractéristique. A ce stade de mon apprentissage, je me suis contentée d'un vêtement simple et coloré. Par contre, je souhaitais créer une figure un peu bohème, avec chapeau de feutre, lunettes rondes en métal et mélange de tissus. En puis, je la voulais coquette, d'où l'ajout d'une ceinture fleurie, d'un foulard et de boucles d'oreilles en papiers gouachés recouverts de vernis colle. Pour le visage, j'ai utilisé ma palette de couleurs habituelles à la peinture acrylique. Et pour la finition, je me suis procuré un vernis spécifique.

Source(s) d'inspiration : Pas de modèle précis en amont de la création de cette marionnette. Elle a pris corps et a trouvé son propre style en faisant. Toutefois, son gros nez et son regard un peu circonspect puisent directement dans mon goût pour le dessin de tronches et la Caricature. Et la triple jupe s'inspire de la tenue des femmes manouches que je croise régulièrement à Paris.

Difficulté(s) et/ ou piste(s) d'approfondissement : La tête et les mains restent difficiles à manipuler. D'abord, à cause de leur poids respectif. Ensuite, parce je n'ai pas suffisamment bien ajusté ces trois parties dans la perspective de les bouger depuis l'intérieur du corps de la marionnette.

Le petit + : Marion est munie d'un carnet de croquis et d'un pinceau fabriqués aussi à la main. Ils se rangent tous deux dans sa grande poche latérale.

*******

Marionnette n°2 : L'époux 

Contexte : Une commande lancée comme un défi. Pour soutenir mon élan créatif nouveau, c'est-à-dire produire en volume des figures  personnages de récits à venir, je reçois une demande, fabriquer une marionnette dans un délai précis  et avec un modèle ! Ni une ni deux, je me lance ! Car, c'est l'occasion pour moi de tester d'autres manières de procéder, en particulier, trouver des solutions techniques et/ ou plastiques aux difficultés posées par la conception de Marion : une tête plus légère, des cheveux "réalistes", des jambes...

Durée de la création : Pas le choix, j'ai dû travailler plus vite et avec plus d'assurance. Heureusement, mon art-thérapeute a beaucoup apprécié ma première marionnette ; je me sens donc capable de m'améliorer en m'appuyant sur des bases saines de création  je veux dire, éprouvées. Mais, pour me mettre efficacement au travail, je devrai d'abord lutter contre deux tendances déjà maintes fois évoquées dans d'autres articles. 1°) La procrastination, qui me pousse à produire au final dans l'urgence ; 2°) La nouveauté, à savoir, chercher, par peur de l'ennui, à ne pas se répéter en changeant systématiquement de protocole de création. A force, c'est épuisant ! De plus, c'est un frein à la possibilité d'approfondir ou d'obtenir des résultats réellement satisfaisants. Ces deux obstacles écartés, je fabrique néanmoins ma marionnette en un mois. Et je m'obligerai à décider qu'elle est achevée à la veille de la date butoir du défi lancé  seulement.

Déroulement : Dans la globalité, j'ai conçu et conduit ce projet-ci de la même manière que le premier. Dans le détail, plusieurs éléments ont été améliorés ou carrément modifiés. Parce que mon objectif était triple : chercher la ressemblance à mon modèle, gagner en légèreté et du coup, en maniabilité, et fabriquer une marionnette complète. C'est pourquoi, ici, je m'attarderai surtout sur ce qui a changé. 

Cette fois, la tête est fabriquée en pâte à modeler pour enfants. Je remarque que je parviens d'ailleurs à obtenir plus de finesse dans le modelage des différents parties du visage, notamment le nez   je fais même deux oreilles ! Puis, j'utilise des bandes de papier d'emballage fin que j'encolle d'un seul côté et que je place. L'ensemble sèche plusieurs jours, jusqu'à complète rigidification. Attention ! : Comme l'étape suivante consiste à ôter soigneusement le plus de pâte à modeler possible, il vaut mieux avoir posé plusieurs couches de papier. Ceci afin d'éviter la transparence ou que le papier craque ou ne se déchire. Le même soin est pris pour les cheveux et la barbe. La laine est découpée en nombreux bouts de longueurs variables, qui sont ensuite collés les uns après les autres. La fabrication du reste du corps n'a pas été une mince affaire ; j'ai dû improviser à partir de ma documentation. En fait, il y a toujours le principe de la gaine sur laquelle est rajouté le costume cousu. Dans la gaine puis la tête, je place cependant un rouleau de carton qui permettra de bouger la marionnette plus facilement. Et je remplis le dit costume de vieux chiffons. Ainsi, la figure gagne en formes et en réalisme. Pour les pieds et les chaussures, j'aurai recours à un savant mélange de toile cirée, de tissus de chiffon, d'argile auto-durcissante et de points de couture. Toujours par goût pour le détail et du fait du contexte de commande, je fabrique enfin des lunettes, une casquette, un pochette en bandoulière  particulièrement caractéristiques de mon sujet.

Source(s) d'inspiration : Je me suis forcément inspirée de ma première marionnette, notamment, sur la taille finale de ce projet-ci et sur le choix d'utiliser à nouveau différents types de matériaux — pour beaucoup recyclés. Ensuite, je me suis servie des nombreux portraits de mon modèle déjà réalisés, en dessin surtout. L'imagination, le jeu et la prédilection pour la manipulation de certaines matières plutôt que d'autres ont fait le reste.

Difficulté(s) et/ ou piste(s) d'approfondissement : Pour l'instant, je dispose d'une seule source de documentation concernant la fabrication des marionnettes, un ouvrage bien illustré, épuisé depuis longtemps. Sur certains points, comme je débute, je trouve malgré tout qu'il manque de clarté. Par conséquent, il y a des étapes que je traverse avec un peu de fébrilité, où j'ai l'impression d'avoir des gestes hasardeux. Ça a été le cas pour la fabrication des chaussures. Par contre, mon intérêt pour le sculpteur hyperréaliste australien Ron Mueck m'a beaucoup aidée dans la traitement de la peau ou des cheveux et de la barbe. Cet artiste travaille les détails avec lenteur, engagement et beaucoup de finesse, qui ont été pour moi et qui restent comme des commandement à suivre.

Le petit + : La casquette amovible qui permet de s'apercevoir du souci de ressemblance recherché. Comme sa marionnette L'époux, le modèle est doté d'un grand front.  Le col de chemise façonné avec du carton et une bande de tissu cousue. L'époux peut tenir assis, le dos au mur, ou être accroché au moyen d'une boucle de tissu, cousue derrière le manteau.

©ema dée

dimanche 7 mai 2023

Histoires modelées, expériences colorées et objets plastiques

La période actuelle est faste : j'explore, j'expérimente, je rumine et j'envisage. Des projets d'éditions qui me tiennent à cœur, par exemple, l'illustration de textes classiques sous un nouveau format de fanzine. Ou des idées de situations de pratique graphique, plastique (ou littéraire) qui me boosteront parce qu'elles contiennent en elles un vrai potentiel d'idées d'objets singuliers, si je suis attentive aux hasards, aux surgissements. (C'est ainsi que souvent je procède dans la création de livres d'artiste. Le processus est lent, long, parfois déroutant, mais, au bout du compte, un objet plastique concret finit par advenir.) 

Comment évolue un projet ? En prenant des formes variées, successives, parfois paradoxales, contraires, qui sont comme autant d'états d'avancement d'étapes. Leur statut varie parce que ce sont à la fois des créations plastiques en cours et des terrains pour l'expérimentation à venir d'outils, de techniques, de procédés, de points de vue : la formation d'un parti pris.  

Il y a quelques mois je suis saisie par l'envie de produire en série de petites figures modelées. Ni une ni deux, je me procure un matériau que je connais bien : la pâte à modeler séchant à l'air libre, bien pratique quand on veut créer rapidement, sans se tracasser par une cuisson éventuelle. Elle est le matériau idéal, autant si l'on désire créer des formes tests ou produire des formes définitives. Comme en dessin, je représente d'emblée des personnages imaginaires et tronchus : une véritable collection de têtes au faciès expressif — œil globuleux, nez proéminent, bouche élargie — prend vie. 

Cette collection de têtes se poursuit avec un travail de recherche plus fin, consistant en l'interprétation de dessins de fragments de femmes issus d'un projet créatif global en work in progress que je ne finis pas d'exploiter, d'ailleurs ! À ce stade, je m'interroge : Comment passer d'un dessin précis à un volume sans esquisse préalable, et cela, en exploitant au mieux les ressources spécifiques du médium ?  Jusqu'où est-il possible de reproduire et de respecter les détails tracés au crayon à papier à partir de photographies de magazines ? Je n'en sais rien. Alors je cherche. Alors, je modèle. Alors, je réitère le geste. D'abord pour faire des nez, puis une main, deux cuisses, des hanches... Grisée, j'ose représenter un œil, un pied, deux !, une poitrine. 

La matière blanche et brute de la pâte à modeler a son propre charme. Mais puisqu'il s'agit d'explorer autant continuer, autant étendre l'expérience, autant la complexifier : je prends le risque de la couleur directe. À la bombe de peinture. Ma première fois ; mais une fois nécessaire, réfléchie. Car, j'ai besoin que la peinture soit couvrante, sans aspérité ni effet de textures. De plus, je veux des teintes nouvelles qui viendront enrichir mon vocabulaire esthétique personnel. 

Ma création avance en se stratifiant, car soudain une furieuse envie de plâtre, de fournir un écrin en plâtre à ces formes féminines modelées dans une sorte de fièvre créatrice. Dans la  perspective d'un besoin non encore identifié, j'avais accumulé des petits récipients en plastique rectangulaires qui tombent diablement à pic. Des formes plus précises encore voient le jour ici, car, en parallèle, ailleurs, les contours d'un projet d'édition se dessine dans lequel la série de dessins représentant des fragments de mannequins féminins prend toute sa place — bientôt, sa mesure

L'expérience de la couleur, pour sa part, se prolonge : c'est une histoire qui s'écrit progressivement et qui se manifeste par hasard d'une manière bien inattendue :

 Objets plastique à suivre...

©ema dée

samedi 18 mars 2023

Des nouvelles en couleurs de ma création de livres d'artiste

Chères toutes, chers tous,

Je vous présente l'une de mes dernières créations dans le registre des livres d'artistes - livres uniques : Des taches dans mon mouchoir. Cette création originale proposant une lecture fragmentée de mon rapport à la couleur à partir de cahiers, est conçu comme des archives. Le boîtier en papier cartonné noir sans couvercle contient et expose. En effet, on peut voir la tranche de chaque cahier et l'on peut s'en saisir à l'envi, directement. Les cahiers au nombre de 13 sont reliés, ils sont de format carré et contiennent chacun 6 pages...

... L’œuvre est une invitation au feuilletage et à la manipulation délicate : après une couverture ajourée, se dévoilent tour à tour un poème-liste imprimé, un dessin au feutre sur papier calque, une oeuvre picturale à l'encre aquarelle sur un mouchoir et un mot écrit au feutre, en rapport avec la couleur dominante du cahier...

 
... L'idée, l'intention ? Rassembler plusieurs approches de la "couleur", le noir étant ce fil directeur et cette articulation visuelle entre les pages. 13 cahiers, 13 couleurs dont le rose,  le jaune, le bleu, le vert, le violet, le brun... le noir, le blanc...

L'approche est sensible, émotionnelle, tactile... plongeant ses racines dans les souvenirs qui viennent éclore à la surface..

@ema dée

vendredi 7 octobre 2022

Situation plastique n°5 : Un abécédaire en plein désordre

Parmi mes petites obsessions en matière de création, je veux dire, mes motifs ou sujet de prédilection et/ ou de recherche artistique (et littéraire), il y a l'abécédaire. Je crois d'ailleurs qu'avec le dessin de personnages et la mise en images de récits, l'abécédaire constitue chez moi un sujet à part entière — obsédant et véritablement passionnant !

Dans mon cheminement créatif et mes réalisations, il a pris et continue de prendre des formes variées. Avec le recul que permet l'écriture, je réalise que toutes ces formes représentent plus que des étapes vers MON grand abécédaire. Elles sont déjà une manière de questionner ce qui est à la fois un genre de livre, une manière ordonnée et normée de présenter l'information quelle qu'elle soit et un objet plastique. 

J'ai ainsi fabriqué de multiples objets, à la faveur de carnets de croquis — détournés ou d'une thématique qui s'est présentée, par exemple, pendant mes études et que j'ai pu développer en parallèle. Créés dans des délais très courts, ils sont des sortes d'avant-projets, des notes d'intention qui se matérialisent concrètement. Un jour, en pleine introspection, je crée, à partir de taches d'encre noire et de réseaux de lignes entrelacées dessinées au stylo violet, un abécédaire mélancolique ; un autre jour, je propose une présentation alphabétique mais désordonnée de l'Oeuvre de Kveta Pacovskà. (L'artiste tchèque réalise notamment des abécédaires qu'elle nomme ces petits "livres-architectures".) Là, dans un épais carnet reconverti en objet artistique et pédagogique, se mêlent au fil des pages, collages, écritures, dessins, découpages et jeux graphiques autour des lettres.

Aujourd'hui, je reviens sur une création plastique récente conçue à partir d'un sujet qui m'a été imposé au cours de mes études universitaires en Art plastiques : À l'envers. Le sujet était accompagné de plusieurs documents iconographiques dont une reproduction d'une œuvre picturale du peintre hollandais Jan Steen, intitulée Upside Down (Le Monde à l'envers) et datant de 1663 (ci-dessus). Ça a été une découverte. Déjà, la modernité du titre ! Ensuite, l'atmosphère délicieusement grivoise voire carrément provocatrice et irrévérencieuse de cette scène de genre, dans laquelle tout nous est livré de manière frontale. (Rappelons qu'à la même époque et dans le même pays, Johannes Vermeer peint de petites femmes d'intérieur potelées, seules, occupées et muettes, de profil ou tête humblement baissée, dans des scènes silencieuses et des espaces profonds aux portes entrouvertes.) 

Chez Steen, le monde n'est pas silencieux. Au contraire, diverses choses ont eu lieu et se déroulent encore autour de cette maitresse de maison au visage félin et au sourire diablement coquin. Et cette attitude plus qu'engageante ! Et la mise des uns et des autres ! Une joyeuse beuverie ? Un lendemain de fête ? La scène mêle généreusement confusion et ordre, morale religieuse et mœurs légères, exubérance et contrition.

Ma production reprend certains des éléments plastiques et iconographiques qui composent ce tableau. Plus particulièrement, je me suis intéressée aux corps, aux objets et aux animaux représentés ainsi qu'à la palette chromatique utilisée par l'artiste, allant du jaune d'or au brun terre de sienne en passant par le rouge grenat ou le blanc. Je n'ai cependant pas été insensible à la relation entre permission et interdit sociaux qui me semble aussi être en jeu dans ce tableau. Pour penser plastiquement "À l'envers", ,j'ai eu recours à un procédé consistant à déconstruire les images en fragments et à les reconstituer en partie, un peu à la manière d'une artiste surréaliste, par associations et glissements : objets et corps se décomposent ici et se recomposent ailleurs grâce à des rencontres fortuites. En utilisant du calque et un feutre pinceau, les membres des uns rejoignent les parties des autres. 

Mon idée ? Obtenir une galerie de figures imaginaires hybrides. Un parti-pris qui vient résonner avec un questionnement sur l'identité, sa nature et ses métamorphoses. Il s'est agi de me fabriquer une sorte de cabinet de curiosités. La toile de J. Steen offre en effet une multitude de rencontres possibles tant la toile abonde de représentations et présentations d'objets, d'animaux, d'êtres humains et d'une vie remuante — et dissolue !

Mais, à ce stade, le projet n'est pas pensé comme un abécédaire. Je suis surtout préoccupée par l'aspect final et sa mise en scène : les figures étranges et hilares, tracées en noir sur papier calque puis découpées, sont simplement collées sur des feuilles de papier carrées Montval. Cela compose cependant déjà un joyeux bazar de formes. Une de ces formes me fait penser soudain à une lettre : la petite obsession remonte à la surface...

Un Grand Désordre. Collages, papier calque, matériaux divers, fil de fer recuit 

et papier aquarelle Montval. Tous formats

Les lettres de ce nouvel abécédaire sont fabriquées dans différents matériaux. Je les ai choisis pour leurs caractéristiques plastiques chromatiques — en résonance, bien sûr, avec celles du tableau. Souvent, j'ai suivi la "voix" de ce matériau : j'ai trouvé des formes suggestives dans ses aspérités, sa texture, sa couleur. Avec un peu d'imagination, je vois un L qui s'est formé dans un petit bout de plâtre, un V apparaît alors que j'enlève un anneau de colle séchée sur le bord d'un pot en plastique, un T se dévoile dans les déchirures d'un bout de skaï... À d'autres moments, je ne peux fonctionner par interprétation, par projection, comme on verrait des formes dans un nuage ou une tache d'encre. Je décide donc que dans un matériau précis, je ferai une forme précise : dans des cheveux noués entourant du fil de fer, un S ; un D dans les franges d'un ruban de bolduc, ou un M dans des restes de peinture acrylique maculant un morceau de scotch. 

Et que dire de la composition ? Qu'elle obéit à des lois d'équilibre personnelles. Pour l'assemblage-montage final, je suis préoccupée par la redondance que je traque, par le mouvement que je souhaite clairement visible, et par le ton de la proposition plastique qui doit apparaître de cet ensemble tel un poème visuel. Le projet initial consistant à suspendre les carrés illustrés à la manière des installations d'Annette Messager ne prend pas, ouvre sur des difficultés. Je solutionne le problème en assumant franchement l'abécédaire en désordre qui sourd de ce projet de galerie. Toutes les lettres-images seront réunies entres elles par des fils de fer. Et je me fabrique une œuvre ludique et singulière : certaines lettres manquent, d'autres sont répétées et je joue avec la tension entre le plein et le vide.

©ema dée

mercredi 25 mai 2022

Nouvelle création "livresque" originale - Partie 2 : ALORS, ON DANSE ?

Ces premiers imagiers en boîte prennent vie à la faveur d’un choix d’images autour de thèmes centraux ou transversaux récurrents. Successivement, l’Arbre (pluriel), (le corps de) la Danse, les Choses (chères) et l’Animal (ici, les poissons). Les boîtes sont créées selon un modèle simple et sobre, garantissant à son contenu un accès le plus direct et permettant quelques fantaisies le visuel de « couverture » s'adapte à chacun des thèmes.

-------

Exploration n°2 : ALORS, ON DANSE ?   

Procédant par métonymies et/ ou jeux d'associations, c'est ici un ensemble d'images qui s'amuse à évoquer le corps de la danse : par la pratique (seule ou en groupe), par son genre (sportive ou favorisant plus la grâce), par ce qui la caractérise, comme sa rigueur ou au contraire, le grain de folie qu'elle requiert ou favorise. Et, un texte à vif, livré comme une confidence, qui plonge ses racines dans un souvenir d'enfance dont le contenu résonne encore dans le présent, ravivant le goût doux-amer de/ pour la danse.

Peut-être ai-je été influencée par le fait d'avoir vu récemment des longs métrages sur ce sujet. Par exemple : En Corps de Cédric Klapisch (2022) traitant de réparation et proposant un regard croisé "Danse contemporaine versus Danse classique", ou Allons enfants, un documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (2022), tourné dans un lycée parisien qui s'est lancé un défi : celui de mettre en œuvre une spécialité Danse Hip-Hop en  y intégrant des élèves issus·es d'établissements scolaires difficiles ou non "favorisés".

Ou s'agit-il simplement de partager avec chacun·e l'amour du mouvement en rythmes et gestes harmonieux et/ou désorganisés ? Le besoin d'expression qui passe par le corps ?... Alors, on danse ?

©ema dée

mardi 24 mai 2022

Nouvelle création "livresque" originale - Partie 3 : BIEN DES CHOSES

L’idée est de proposer des sortes de surprises au format de poche, dont le contenu et l' invitation à s'exploiter varierait selon le thème traité. Car, chaque imagier répond à une manière d’explorer le sujet que sont le corps, le souvenir ou la biodiversité. Celui-ci est chaque fois vu sous trois angles : celui du récit - un texte bref et personnel, celui de l’image qui se déploie en une série de 12 à 15 vues, et celui du lien qui se tisse entre l’image ou les images ensemble et le texte bref, selon des modalités non formulées directement. 

-------

Exploration n°3 : BIEN DES CHOSES

Les objets, les êtres, les actions, sont des choses qui vivent en moi et chez moi une existence et un destin singuliers, hors normes... c'est ainsi que je propose d'entrer dans cette collection d'images-ci issues de la reproduction de dessins appartenant à des époques distinctes, tous imprimées sur un papier très blanc et dans des nuances bleutées.

 
Le choix de l'impression est une question qui fait partie intégrante de ma réflexion. J'apprendrai tout au long de ce projet d'imagiers en boîte à jouer, par exemple, avec les hasards de la reproduction sur papier photo brillant ou à composer avec des différences de colorimétrie. Ce fut particulièrement le cas pour Bien des choses.
 
 
Les nuances bleutées rappelant la couleur du stylo Bic ou des encres utilisées pour écrire au stylo à plume répondent parfaitement à la tonalité de cet imagier : une forme de nostalgie qui sourd à travers le trait dessiné et les mots écrits, composés et réunis autour d'un sentiment ambivalent de perte et de ravissement.

 
Comme une manière de s'autoriser, seul·e ou à plusieurs, à faire l'inventaire des choses précieuses. Ces choses à la fois proches et lointaines. Courantes et rares...

©ema dée

lundi 23 mai 2022

Nouvelle création "livresque" originale - Partie 4 : AQUARIUS

Ainsi, les séries d’images des imagiers en boite sont  imprimées en noir et blanc ou en couleurs, si possible, sur différents supports pour proposer une expérience visuelle comme esthétique, à chaque fois renouvelée. Des images, c’est-à-dire, on l'aura compris, la reproduction en petit format carré de dessins originaux + un récit bref, relevant souvent de l’autofiction = une invitation littéraire, graphique, plastique et ludique = une expérience de lectures sensibles.

 -------

Exploration n°4 : AQUARIUS 

L'objet de l'imagier créé n'est pas déterminé à l'avance, certes, néanmoins, les choix thématiques, les orientations esthétiques et parti-pris littéraires travaillent des questions qui touchent à ma démarche de création plus globalement et guident en quelque sorte l'intention. Je m'intéresse notamment à ce qui a trait à la Nature, à l'Environnement.  Bien sûr pour des raisons écologiques évidentes. Je qualifie d'"écologique", ma préoccupation pour la manière dont je vis avec et dans mon environnement, en particulier domestique, urbain, professionnel -  en définitive, culturel. Une autre raison explique que je me passionne pour la représentation graphique des animaux, ici les poissons. J'y vois une forme d'expression de l'identité, sa richesse et sa variabilité selon l'angle où l'on se place ou celui qu'on choisit de valoriser. En accord ou en désaccord.


 
Ce faisant, Aquarius, c'est d'abord, s'amuser avec les formes naturellement diverses et diversifiées" qu'offre et produit la Nature que je me suis plu à représenter en utilisant plusieurs outils : pinceau, plume, encre aquarelle, carte à gratter, marqueur, stylo à bille... C'est ensuite se lancer le défi de chercher à en proposer des formes "naturellement composites". Et, pourquoi pas ?, explorer sa propre relation aux formes plurielles en s'adonnant à une lecture tactile de ce méli-mélo

©ema dée

lundi 11 avril 2022

Le nez, la main, les yeux dans une sélection de mes "livres uniques"

Profitant d'un rangement de printemps, je remets le nez, la main, les yeux, dans des projets livresques personnels, dont certains ont été laissés en suspens, faute d'idées de développement sur le moment, en particulier en matière de façonnage et de reliure. Dans l'intervalle — les premiers livres datent de 2008 —, j'ai cherché à me former justement sur ces questions qui me passionnent. Auprès de professionnels·elles, dans des lieux dédiés, j'ai réussi à glaner et dénicher de-ci de-là quelques petites combines et ouvrages de soutien qui ont pour ainsi dire donner de la souplesse, de l'agilité — de la créativité  ! — à mon esprit comme à mes mains. L'article propose un retour sur un choix de réalisations personnelles. (Pensez, d'ailleurs,  à faire glisser la souris sur chaque image et/ ou à cliquer dessus.)

Par exemple, je participe à des ateliers sur le Livre : notamment, conduit dans l'ex-librairie-galerie Les Trois Ourses dans le 3ème arrondissement à Paris, par l'artiste Gianpaolo Pagni, comment faire un livre avec des journaux et du scotch. Tout simplement. Lui-même s'est lancé dans l'édition en partant de son obsession pour les tampons et les séries sur papier.... 
Ou, je découvre des événements — le salon nomade Multiple Art Days, le Festival les FMR à la Halle Saint-Pierre — , ou alors des procédés de reproduction d'images tels que la risographie au sein de l'Atelier Édition de l'ENSBA de Paris ou de reliure (Service de la Conservation de la bibliothèque de l'Institut national d'Histoire de l'Art)... 
Je fais l'acquisition de livres spécialisés : ainsi de Les livres de Bruno Munari de Giorgio Maffei (Les trois Ourses, 2009), Coxcodex de l'artiste designer et concepteur de livres illustrés Paul Cox (éd. du Seuil, 2002), de l'ouvrage Esthétique du livre d'artiste : une introduction à l'Art contemporain années 1960/80 d'A. Moeglin-Delcroix (Le mot et le reste/ BnF, 2011), une bible ! 
Ou encore, je redécouvre grâce à Twitter et Instagram les livres d'une foisonnante créativité des éditions Esperluète, La Joie de Lire, Mémo, Frémok ou d'auteurs·trices, tels que Kvetà Pacovska, Eric Carle, Loren Cappelli... Enfin, je consulte à loisir un très petit catalogue d'exposition consacré aux livres d'artistes mexicains intitulé Les autres livres : livres d'artiste (éd. Conseil national pour la Culture et les Arts, Mexico). Il m'a été offert en 2009 au Salon du Livre Paris et siège dans ma bibliothèque depuis. Ce ne sont là que quelques pages, mais quelle richesse !

(Déterminer si et à quel point ces livres m'ont influencée, se retrouvent dans la conception ou la facture ou encore le contenu de mes livres, je ne saurais le dire. Suis-je la meilleure juge de mon travail et de son interprétation ?  En tout cas, ce qui est certain, c'est que voir des créations livresques et diverses formes d'un art que l'on peut qualifier "d'éditorial" me stimule d'une manière ou d'une autre. Disons qu'ils constituent un fond de références qui s'enrichit continuellement parce qu'il vient nourrir ma production ; elle est réflexive et nécessite donc de nouvelles références ou de réinterroger celles que je possède déjà.) 

Les réalisations dont il est question sont en fait des livres dits "uniques"*: le plus souvent, ils n'existent qu'en un seul exemplaire, car ils sont la forme concrète d'une intuition dans un parcours un cheminement de pensée ou d'un besoin d'articuler ensemble différents paramètres, contraintes, matériaux. Par exemple, pour créer ces livres, j'investis des carnets de Moleskine, je manipule des chutes de papier de formats similaires, c'est-à-dire que je les creuse, les coupe, les couds, les relie, les colle, ou les agrafe entre elles... Et ceci, en associant une réflexion sur le temps de lecture et l'espace de la page (influencée par une certaine conception de l'acte de lire comme la développe l'autrice-illustratrice Anne Herbauts) à une recherche-création sur les mots et la forme finale de l'objet à lire. 

*J'emprunte la terminologie à la galerie d'Art contemporain La Topographie de l'Art qui propose, en autre et depuis 2015, un évènement artistique régulier, Livres uniks.

Le papier est mon matériau privilégié ; j'aime le diversifier, en fonction de mes chutes, du hasard qui me fait chiner dans des fins de séries chez des soldeurs, et bien sûr, en fonction de mes intentions (recherche de transparence, de souplesse, de douceur ou au contraire, de rugosité). Les papiers sont choisis pour leur qualité, leur couleur, leur texture, leur épaisseur naturelle et leur manière de réagir à des traitements comme le marouflage ou la découpe au cutter (ou au scalpel).

En ce moment, j'avoue que j'utilise beaucoup de papier calque surtout celui de 150g, car il  est aussi résistant qu'il est opaque ! J'utilise aussi du papier recyclé brun, non par goût, mais parce que je viens d'en récupérer fortuitement une grosse quantité, dont je cherche à tirer le meilleur profit. Enfin, du papier Japon qui une fois enduit de colle, durcit et peut être travaillé, il forme alors des bourrelets et des plis très inspirants... Concernant le façonnage et la reliure, tout dépend de l'épaisseur du projet : un carnet de Moleskine verra seulement sa couverture découpée, alors que des morceaux de feuilles de papier rassemblés à la main en cahiers seront réunies définitivement à l'aide d'une reliure cousue avec du fil ou en dos carré-collé "maison". Les volets indépendants offrent, pour leur part, diverses possibilités de présentation, étui de papier fort, corde de liaison, contrecollage de renforcement.. 
 
Les contenus affectent l'intégrité des pages ; il arrive que celles-ci soient découpées pour les besoins de l'expression, le sujet. Les contenus peuvent aussi se déployer selon le type de support : ainsi, des carrés de couleur dans un livre de format carré. Dans ces livres uniques, j'aime dire que sont valorisés trois types de contenus dont les limites s'avèrent poreuses : les collections (inventaire, catalogue, abécédaire, typologie), les variations thématiques (portraits, taches, couleurs) et les écrits de l'intime (souvenirs donnés à lire souvent sous forme de listes). 

Les collections se créent opportunément ou volontairement : je décide dès le début de produire sur carte d'art un papier épais et très blanc —, un numéraire consistant en la représentation d'une suite de cailloux en style naïf, à l'aide d'encres aquarelle posées au pinceau. Mais, c'est au fil de la création que je rassemble dans des feuilles de papier Da Vinci des couleurs aqueuses et y vois l'occasion d'y associer des mots personnels. La dimension des écrits, l'intime, bien qu'elle investisse certains livres plus que d'autres, reste la colonne vertébrale de ma production allant de 2008 (Couleurs) à 2022 (Se souvenir des arbres). 
 

Cette production-ci est marquée du sceau d'un certain paradoxe. Je m'explique : le souhait de développer certains livres en quantité me pousse à recourir parfois à des reliures semi-industrielles (#04700 in Se souvenir des arbres) ou à de la reprographie pour faire des tests. Néanmoins, le goût prononcé pour des supports variés dans un même objet explique que le prix de revient des livres s'ils devaient être imprimés et reliés en nombre serait élevé. Au final, d'une manière assez logique, ces projets-là sont voués à rester des exemplaires uniques. 

D'une manière délibérée, cette réalité fait le lit d'une création artistique et livresque destinée à se déployer exclusivement dans des objets uniques. Et puisque je sais que je ne désire pas en faire plus d'un, chaque livre constitue une seule et véritable expérience de création personnelle (graphique, plastique et/ou littéraire).

Une inquiétude émaille toutefois cet élan de créativité décomplexée : comment proposer ces œuvres à lire à un public ? Et dans la perspective de partager ce travail de recherche-création, dans quelle mesure ces objets sont-ils adaptés, adaptables tout bonnement, "partageables" ? La réception des œuvres livresques est dans mon parcours un vrai questionnement. D'abord, parce que leur facture est souvent le résultat de gestes pas toujours prémédités qui se soucient plus de la cohérence plastique que du futur partage de regards. Ensuite, parce que très concrètement, ils n'ont pas été pensés en amont pour être utilisés comme des livres de bibliothèque.

Peut-être qu'à l'instar de l'autrice-illustratrice de livres pour enfants Kitty Crowther, je bâtis mes livres pour un·e seul·e lecteur·trice à la fois l'intimité du geste créatif commandant en quelque sorte l'intimité de la réception ? Cela étant précisé, et outre la leçon tirée de l'expérience de monstration d'un autre pan de ma production livresque (Salon SoBD 2021), il me semble qu'il devient de plus en plus incontournable d'intégrer dans ma démarche, la possibilité pour un public amateur ou novice d'avoir accès, d'une manière ou d'une autre, aux contenus de mes "autres" livres... Devrais-je songer à la vidéo ? Aux montages photos ?

-------

RÉITÉRATIONS : rappels des titres et principes des livres présentés dans cet article (dans leur ordre d'apparition)  :

Moi ?, 2016 : un livre-portrait réalisé en découpes au scalpel et au cutter, rehaussé d'un collage en papier Japon rouge.

Vagues à l'âme, j'ai tant pleuré enfant, 2016 : un carnet mêlant sur papier satiné des taches de couleurs à l'encre aquarelle et des bribes de pensées écrites au feutre.

Le compte des pierres et Balade, 2016 - 2022 : feutre, plume, aquarelle et crayon dans un diptyque créé à la faveur de promenades.

Couleurs, 2008-2022 : présentation de carrés de couleurs à l'encre aquarelle et leurs petits mots dactylographiés et collés.

#004700 et Petites pensées arboricoles, 2014-2022 : deux exemples de travaux sur le thème "Se souvenir des arbres"  menés en work in progress.

Une première version de ces livres-ci et d'autres livres uniques sont visibles sur la page "OBJETS LIVRES"

 ©ema dée

mardi 1 mars 2022

Situation plastique n°3 : Imaginer un triptyque à partir d'une même matrice

À partir d'une réalisation plastique dont j'ai parlé précédemment – un groupe de personnages féminins imaginaires peint à l'acrylique, au feutre et à l'encre de Chine sur un support en carton de format carré – je produis un triptyque. J'aurai conservé de mon premier travail le format carré que j'affectionne car il me semble être le plus adéquat pour me lancer dans une composition centrée équilibrée. Je conserverai également le tracé général, naïf et simplifié, adopté pour la représentation des cinq figures originales.

Le triptyque n'a pas été pas pensé en amont ; la nécessité de faire une œuvre se composant de trois volets s'est présentée au cours de la réalisation de mon premier dessin. Pour démarrer, du dessin original, je me suis débarrassée, un, du motif, deux, de la couleur de fond. Seul le trait fin et souple ainsi que le besoin de mettre en œuvre une tension entre les pleins et le vides ont servi de guides à la création. 

Le dessin original a donc fait office de point de départ d'une analyse de ma pratique consistant ici à mêler peinture et dessin : elle se manifeste notamment par une tendance à définir la figure comme un ensemble de zones à investir soit par la matière, soit par des aplats, soit par des motifs. Je veux dire que je ne cherche pas à représenter quelqu'un·e en particulier ; je me sers du corps comme moyen de questionner mon rapport à l'espace. Matière, motifs et/ ou aplats permettant tout à la fois de donner une corporalité à des figures imaginaires planes et de les installer dans un espace fictif qui, du coup, devient plus réel, plus concret.

-------

Situation plastique 3 : Un triptyque créé à partir d'une même matrice qui cherche à accentuer une caractéristique présente dans une production précédente. 

Premier volet. Dans ce dessin fait au stylo Rotring sur papier naturel de couleur crème et de format 40 x 40 cm,  j'ai utilisé du papier transfert (ou papier carbone) afin de dessiner des silhouettes dans un style et une physionomie proches. Le dessin par décalque et duplication n'est qu'un préalable, les détails sont ajoutés librement ensuite. Ce procédé simple facilite le positionnement des figures ; je les fais glisser les unes sous les autres. Est ainsi conservée la volonté de produire une sensation d'espace alors que pour sa part, le dessin affirme la planéité du support. (Toute recherche de singularisation de chacune des figures est, par contre, rejetée.)


Second volet. Dans cette production-ci, je reprends l'étape consistant à dessiner des figures sur des feuilles de papier calque que j'utilise ensuite sur papier carbone. Je désire accentuer la maniabilité des figures et jouer avec la transparence des matériaux. J'utiliserai pour se faire un papier calque plus épais qu'à l'ordinaire, et de fait,  il est légèrement opaque. Résultat : les figures se superposent visuellement et de manière sensible, les traits tendant à se répondre ou à se confondre. En effet, à travers le jeu de la superposition, je désire mettre en scène des correspondances visuelles, des résonances, pour construire une nouvelle composition dans laquelle les figures peuvent être saisies comme autant de formes géométriques mais symboliques. 

Troisième volet. Les deux premières étapes m'ont permis d'exploiter la ressource d'un trait fin, sans me préoccuper d'autre chose ; je choisis cette fois-ci de réintégrer la matérialité de la couleur tout en conservant l'idée de transparence. Les figures sont à nouveau dessinées au préalable par décalque et duplication. Puis, les contours sont peints à l'encre de Chine. Le pinceau qui trace à l'encre de Chine des traits plus ou moins épais à la manière d'une calligraphie chinoise, s'amuse des pleins, des déliés et vient remplacer le stylo Rotring. 

-------

Chaque production peut s'envisager seule ; mais il me semble qu'elles fonctionnent mieux ensemble car une logique du tracé et du support se joue entre elles trois. De manière très subjective, je préfère le  triptyque au diptyque, parce que par exemple, une narration même très suggestive peut se jouer plus aisément.

Concernant à présent les possibles influences ou les références artistiques et/ou culturelles qui ont pu m'aider, je me plaît à dire que la réponse est souvent compliquée tant j'ai l'impression de très vite assimiler les œuvres ou artistes que je rencontre, les démarches ou les parcours et idées des autres qui me plaisent, me titillent. Pour autant et très curieusement, le travail avec les calques m'a renvoyée au cinéma d'animation, et plus singulièrement, à l’Oeuvre projeté de l'artiste afro-américaine de Kara Walker dont j'ai vu une exposition il y a plusieurs années au MAM de la Ville de Paris et et qui, à travers l'utilisation de silhouettes noires (ou avec des ombres chinoises) réécrit l'histoire du racisme américain. Le dessin au trait tel que je l'ai envisagé pour mon premier volet m'a fait penser, de manière assez curieuse également, à de la sculpture au fil de fer... peut-être à cause du parti pris de simplification des formes ? Enfin, quand j'ai réalisé le troisième volet, je n'ai pu m'empêcher de faire un rapprochement –  lointain néanmoins avec certaines des œuvres de l'artiste français inclassable  Francis Picabia notamment,  celles qu'il appelle Les transparences. J'apprendrai plus tard que ce procédé qui associe des dessins jouant avec la variation de strates, des changements d'échelles, le dévoilement et la rencontre de formes, a été beaucoup pratiquée avant lui, d'Arcimboldo à Pablo Picasso.

Une pelletée d'idées, non ? De quoi creuser plus profondément encore (dans) ma pratique et en dévoiler les soubassements et les complexes cheminements ?

©ema dée ©ema dufour

dimanche 13 février 2022

Situation plastique n° 2 : Peindre et dessiner sur carton un groupe de personnages imaginaires

L'intention de présenter de façon critique mes travaux plastiques et graphiques sur grand format réalisés au cours d'ateliers de pratique artistique en 2021 et en 2022 se poursuit. 

Aujourd'hui, j'aimerais revenir sur une production qui met en scène mon sujet favori, le personnage imaginaire. Dans ma démarche, les personnages imaginaires semblent venir de nulle part, tant ils ne ressemblent à rien de ce qui se connaît ou de ce qui se fait - à première vue. Pourtant, parce qu'il m'arrive de m'amuser à faire de manifestes références à des artistes qui ont croisé ma route, lors d'expositions muséales le plus souvent, ces étranges étrangers deviennent comme familiers. Du moins, je l'espère !

À la question de savoir ce que ces personnages veulent dire, il m'est difficile de répondre. Je crois qu'il s'agit d'abord pour moi de rassembler dans un même corps — peint ou dessiné — plusieurs idées et envies (de matières, de lignes, de composition) et de voir comment ces données plastiques interagissent entre elles pour donner forme à un ou plusieurs être(s) cohérents. C'est ensuite que vient le sens de ce qui a été fait. Et c'est ensuite que peuvent surgir des directions de travail à venir, ou pas. Comprendre qu'un travail n'offre pas de piste d'approfondissement ultérieur immédiat est paradoxalement reposant.

Contexte de recherche-création : sans commande ou contrainte, consigne ou invitation, point de mise au travail efficace. Aussi, voici celle qui cadre cette production : "Produire une oeuvre sur un support de format libre avec ses techniques habituelles. Elle devra réutiliser des caractéristiques de sa pratique graphique et/ ou plastique". Ici : ma relation au rapport vide/ plein.

------- 

Sujet n°2 : Un groupe de personnages imaginaires - Articuler intention artistique et pratique plastique

Le parti-pris de cette réalisation sur carton gris et de format carré a été d'articuler une recherche sur la couleur et le trait ainsi que sur la relation vide/ plein, dans une composition où la figure tient une place centrale. Le personnage est ici représenté dans un groupe de cinq figures féminines, en portrait buste. Elles ont été produites à partir d'un seul modèle, ou matrice, qui a fait l'objet de variations à partir de calque et de papier transfert. Je souhaitais que mes cinq figures se ressemblent tout en étant chacune singulière. La duplication m'offre l'avantage de d'essayer d'abord différents dispositions avant de me décider définitivement pour la superposition des ces figures les unes sur les autres. Ce procédé de glissements et de montage à la main me permet de suggérer un espace, une alternance qui creuse et dynamise le fond coloré, comme j'ai pu l'observer chez un peintre comme Paolo Uccello dans son tableau La bataille de San Romano (1440). Cet espace est obtenu à partir de la superposition et le dialogue entre plusieurs couches de peinture acrylique (blanc, vert, rose, noir, principalement). La peinture a été utilisée volontairement peu diluée afin de pouvoir rendre des effets de matières, des aspérités nettement visibles, grâce à l'utilisation de divers outils picturaux et non picturaux (pinceau, papier frotté, ficelle collé puis arrachée, rouleau...) Certains morceaux de papiers peints seront d'ailleurs conservés en réserve pour d'éventuels collages ; ils viendront, par exemple, accentuer la planéité de l'espace, une autre des caractéristiques de ma pratique.

Un Bouquet de dames, peinture acrylique, feutres, collages, 1 x 1 m, 2021 (détail)

Travailler le support au préalable facilite les étapes suivantes, c'est pour moi une première étape plastique qui le fait déjà vivre en tant qu’œuvre en cours et m'effraie moins. Sur cette couleur texturée, ce support qui a vécu, le trait tracé au rotring et au feutre fin est irrégulier, ce rendu intentionnel confère une forme de fragilité aux contours de les personnages et facilite l'installation d'une tension avec les zones pleines : les cheveux seront peints à l'encre de Chine, celle-ci sera ensuite grattée, dans un but naturaliste ; les cinq bustes seront, pour leur part, recouverts de motifs décoratifs, naïfs, patiemment dessinés avec plusieurs marqueurs. Les rapports vide/plein et trait fin/ zone colorée viennent accentuer l'alternance devant/ derrière et créer dans une  composition qui exacerbe cependant la planéité du support, un mouvement. Les motifs répétés répondent en outre à une nécessité de donner à la figure une corporalité. La figure est volontiers imaginaire, d'où le choix d'une carnation de peau non réaliste. Cependant, le dessin, basé sur une duplication, résonne avec une recherche  esthétique et artistique sur le groupe que je peux synthétiser en posant deux interrogations : comment vivre sa singularité à l'intérieur d'un groupe ? Peut-on véritablement être dissemblable et exister en relation avec les autres ?

©ema dée

vendredi 7 janvier 2022

Situation plastique n°1 : Peindre sur papier un paysage imaginaire en noir et blanc

Depuis le mois de septembre 2021, je participe à un atelier de pratique plastique. Ceci dans le but avoué d'envisager à nouveau la peinture et le grand format comme un médium et un support d'expressions artistiques.

Parmi les demandes et les recommandations de l'atelier, celle de prendre en compte des documents iconographiques et/ou une consigne comme point(s) de départ à l'invention et la recherche, celle d'être en mesure d'investir un support mesurant 75 x 106 cm (du carton gris ou une feuille de papier aquarelle Montval, par exemple), celle d'utiliser des outils graphiques et/ ou plastiques, enfin, celle de recourir à tous les procédés ou techniques à condition que leur usage procède d'une réflexion sur sa propre pratique et sur ses envies de déploiement à venir. 

Pour mettre en perspective ce travail, sorte de voyage introspectif à la faveur notamment de la matière picturale et du geste graphique, je décide de publier ici les résultats variés de mes explorations. Ainsi, me suis-je donné comme premier travail pour l'année 2022,  celui de préciser mes attentes et le parti-pris que j'ai choisi de défendre dans chacune de ces œuvres personnelles. Le sujet est  imposé la plupart du temps. Ces publications successives (recherches, esquisses, productions réussies ou manquées) seront accompagnées d'une note d'intention. C'est là le véritable objectif de mes  prochains articles : être en mesure de "justifier mes choix, les modalités et références mises en œuvre dans mes réalisations". Il s'agit, en une trentaine de lignes environ, de faciliter l'explicitation de ma démarche pour une lectrice-spectatrice ou un regardeur. Attentive à la forme comme au fond, j'envisagerai la note comme un exercice d'écriture créative.

-------

Situation 1 : Un paysage imaginaire - Interroger les composantes de sa pratique

Pour que se constitue un seul paysage planté d'arbres dans lequel le souvenir d'un marcheur  solitaire peut se perdre en le parcourant, se munir d'un médium sombre mais non mate, des outils à poils secs mais non durs et d'un support couleur crème et de format carré. Se munir également de diverses chutes de papier dans l'hypothèse de procéder à quelques collages.

Ma question de départ a été : Comment tirer parti d'une première production qui ré-exploite certaines de ses caractéristiques ? Produit avec du papier carbone et imaginé sur des feuilles de papier de format carré et de couleur crème, le travail originel représentait une série de paysages arboricoles sans profondeur marquée et tout en nuances de gris. Il exploitait sans hiérarchie la gestualité, la matière de l'outil, la texture du trait, la répétition et la variation. Le second travail se concentre pour sa part sur la matière et la planéité, principalement.

 Souvenirs de la traversée d'un paysage, peinture acrylique et collages, 1, 20, x 1, 20 m, 2021 (détail)

Pour ce faire, tremper au préalable sa brosse plate dans de la peinture acrylique non diluée. Poser l'outil contre le support, frotter le support avec l 'outil : progresser dans la hauteur du  support avec un geste mécanique. Il faut entendre ici, un mouvement de la main et du poignet quasi identiques. Re-couvrir le support s'apparente alors à une épreuve physique, car le geste est répété sur toute la surface et le geste est répété successivement sur neuf supports distincts. Non dilué le medium s'applique en couches épaisses, qui en séchant, forme une sorte de peau, dont les aspérités irrégulières malgré le geste mécanique répété le plus uniformément n'échappent pas à un toucher sensible du doigt... Non diluée la quantité de médium vient à manquer, non mouillé l'outil peine – à dessein – à se décharger de la matière picturale. C'est qu'il s'agit oui de peindre, mais aussi de marquer, de laisser des traces, d'indiquer un mouvement volontaire dont émergeront des mouvement involontaires, des marques noires irrégulières, comme un chemin dessiné par les poils d'un même pinceau : le parcours du geste.

Puis les neuf supports seront assemblés. Alors que la peinture sèche, sur des chutes de papier, chercher à produire des effets de matières différents des premiers, l'acrylique sera enrichie d'un peu de colle vinylique, ce qui rend le médium plus "visqueux" et propice à la formation d'empattements. La matière sera aussi obtenue en recourant à un procédé déjà expérimenté, le monotype, ou fait de presser contre un support recouvert d'une peinture un peu grasse, une feuille de papier et de laisser faire le hasard de la rencontre entre les deux.

Dans l'informe, un sol herbeux. Depuis la superposition de couches peintes, des formes arboricoles découpées aux ciseaux. Et près d'un arbre, une figure.

Une référence artistique se présente à-postériori : les  Paysages mentaux ou les Matériologies de l'artiste plasticien, peintre, dessinateur et sculpteur français, Jean Dubuffet (1901-1985). Je dis à-postériori car lorsque je produis l'oeuvre, c'est rarement en pensant à un-e artiste en particulier ; c'est dans la recherche ou à sa toute fin que des analogies se font jour. Une analogie significative : je m'intéresse en effet, à ma façon, à la production spontanée, à une certaine enfance de l'art, enfin, à une création qui donnerait forme sans censure à une intériorité brute et peut-être brutale à travers la mise en dialogue des matières entre elles.

 ©ema dée