Chères lectrices, chers lecteurs fidèles et fervents soutiens à la création et l'invention !
Voici que s'achève le projet d'atelier à distance Animaux en folie/ Un mois entre nous. Un grand merci et surtout, félicitations ! à celles et ceux qui ont relevé le pari de me suivre dans cette toute première aventure dédiée à l'inspiration et à la création littéraire (et graphique !)
Je rappelle la proposition qui a clos cette dernière semaine : Encore un peu de prosopopée ? Non, ce sera de l'éthopée, merci ! Les participants-tes avaient le choix entre deux sujets que voici :
a - Livrez-nous le portrait (psychologique, physique ou comportemental) singulier, drôle, ennuyeux...de cet animal qui vous inspire, vous émeut, vous amuse, vous ennuie, vous terrifie, vous fascine.
b - Choisissez un animal qui vous inspire et inventez l'histoire émouvante de votre rencontre.
Une semaine de Bonté,
© Marx Ernst, 1933
© Marx Ernst, 1933
Que fallait-il faire ici ? Chacun-e a été invité-e à écrire un texte qui pouvait faire appel par exemple, à la description - psychologique et/ ou comportementale - au décentrement et/ ou au dialogue - intérieur ou entre plusieurs protagonistes - mis en avant grâce aux exercices précédents. Deux extraits de textes littéraires appartenant à mon corpus personnel furent donnés en soutien à la réflexion et la recherche : Le chien qui a vu Dieu de Dino Buzzati (1) et La mule du Pape d'Alphonse Daudet (2).
Le sous-entendu de cette dernière proposition ? Inviter les écrivants-tes à puiser dans ce qui a déjà été fait, donner aux uns-es comme aux autres l'envie de poursuivre leur dialogue - personnel et original - avec leurs animaux, au-delà de l'atelier.
Il y aura donc ici du rêve (Joëlle), des questionnements existentiels (Lei N'Karna), une renaissance bienvenue (Christine), du mystère et de la magie (Léa), de la violence et des envies de revanche (Thomas).
Bonne lecture !
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Thomas/ Le MalaiméJe me réveille ce matin dans l’odeur rance de mon humain. Il s’est une fois de plus effondré dans son vomi hier soir en oubliant de remettre des croquettes dans mon assiette. Pour lui faire comprendre qui est le patron ici, je lui laisse un beau petit cadeau dans son bol de céréales. De toute façon, il est tellement abruti qu’il ne se rendra sûrement compte de rien. Lui et ses comparses, avec leur manie de se raser le crâne et de braire comme des ânes devant les matchs de foot à la télé, ont beau me vénérer, j’en ai vraiment ras les moustaches de partager mon territoire avec eux. C’est décidé, puisqu’il n’y a pas moyens de les faire partir, c’est moi qui me casse.
Dehors, la douceur matinale me rend tout de suite plus serein, j’aime ces petits instants à moi où j’ai l’impression d’être seul au monde… Mais très vite mon ventre me rappelle à l’ordre, il faut que je me mette quelque chose sous les crocs au plus vite. Le chant d’un canari m’attire du côté d’un bâtiment où est regroupé un groupe d’humains barbus avec des bols sur la tête. Interloqué par cet étrange rituel, je me pose sur le trottoir d’en face pour mieux les observer.
Soudain, l’un d’eux me repère et se met à faire de grands gestes et à pousser de grands cris. Alertés, les autres se saisissent de pierres et commencent à les envoyer dans ma direction. Paniqué, je m’enfuis à toutes pattes me demandant ce que j’ai bien pu faire pour provoquer une telle ire. Malheureusement pour moi, mes poursuivants n’ont pas l’intention de lâcher l’affaire, et ce sont maintenant des bouteilles qui volent au-dessus de ma tête. Connaissant mal ce quartier, je finis par me retrouver acculé dans une impasse sans échappatoire possible. Les hurlements de mes assaillants vrillent mes oreilles et les jets de pierres se font de plus en plus précis. (Ici, il m’est pénible de vous décrire la violence de la scène, tout ce que je peux vous dire c'est que notre héros, aussi vaillant soit-il, se retrouve vaincu et abandonné à moitié mourant dans une ruelle glauque...)
Humains stupides ! Ne savez-vous pas que les chats ont neuf vies ? Je reviendrai très vite et ma vengeance sera terrible! Je vous ferai payer au centuple ce que vous m’avez fait, foi de KITLER !
© thomas cloué
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Léa/ Corvus Corax
Une odeur de mythes et de contes embaume les recoins de ma coquille.
Je suis Prométhée, le porteur de feu. Sous mon passage, le soleil est tombé, a embrasé l’humus.
À coups de bec, je révèle le dessous des chairs, le spectre du vivant. Je goûte le trépas, me gargarise des restes.
Je suis la sorcière dans l’attente des cercles de pierres. Je rôde entre les champs de bataille et les semis de blé.
J’envoûte ma robe noire de barbules irisées. Je me farde de chardons et de violettes, fais trébucher la couleur dans l’ombre.
Je suis le renard sous les plumes. Je travestis le son, y installe les vibrations d’un autre.
J’imite et je trompe. Je chante et j’enchante.
Je me baigne dans la fourmilière et me raille de sa terreur acide.
Je suis l’Antéchrist cloué aux portes. J’apporte la parole du matin en terre, de l’étoile en naufrage.
Je revêts les chutes de tissus dont on me pare. Couches après couches, mon sens s’épaissit et se brouille.
© doug dance
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Lei N'Karna/ Ma maman
— Je sais pas comment vous dire docteur, je me sens… diminué. Le mal de vivre me tire les entrailles. C’est dur de trouver ma place.
— Je sais pas comment vous dire docteur, je me sens… diminué. Le mal de vivre me tire les entrailles. C’est dur de trouver ma place.
— Et si on commençait par votre enfance, dit le psychiatre, quelles sont les premières images qui vous viennent ? Parlez sans réfléchir.
Les yeux de Saturnin glissèrent vers le tapis gris et triste parsemé de dessins tout aussi ternes.
— Ben… quand j’ai brisé ma coquille, c’était il y a longtemps, au moins quinze jours, je me souviens pas des détails, mais j’ai ouvert les yeux. Il y avait toute cette lumière, ce bruit, et là je l’ai vu ! accroupie au-dessus de moi, m’observant.
— C’était le fermier Saturnin, reprit le spécialiste, pour lui tu étais un parmi d’autres.
— Non ! C’était maman ! je l’ai appelée, MAMAN ! MAMAN ! Mais elle n’en avait rien à faire de ma tronche. Elle s’est levée et elle s’est barrée. J’ai couru, je l’ai appelée, mais rien à faire. Alors, je suis rentré dans le rang, j’ai fait comme les autres. Quelquefois, j’essaie de voir si elle me regarde, mais… non, rien…
Le docteur changea de position sur son riche fauteuil, symbole de sa réussite. Il observa les yeux humides du caneton.
— Mais, cela ne vous a pas empêché de réussir, mon garçon. Voyez votre parcours. Vous êtes un acteur reconnu, admiré par des millions d’enfants.
Saturnin resta prostré, équilibriste sur un fils. Son corps, parcouru par de légers tremblements, semblant prêt à basculer au moindre frémissement.
— Parfois, je fais des rêves horribles, docteur. Il avait chuchoté cette phrase comme les derniers mots d’un condamné.
— Quels rêves ? s’enquit le psychiatre.
— Tout le monde est mort, y a du sang partout… Et moi, je suis debout, je regarde… en riant… ça m’fait peur docteur.
— Mais non, répondit en souriant celui-ci, si tous les rêves devaient se réaliser la terre serait une foire à empoigne. Allons, vous vivez une petite période dépressive. Bientôt, il n’y paraîtra plus, vous verrez. Bon ! je vais quand même renouveler vos comprimés. Hein ? Juste pour que vous vous sentiez mieux. Vous les prenez vos cachets, dites-moi ?
— Oui, docteur. Tout comme vous me l’avez dit.
— Biiiien ! c’est une bonne chose. On se revoit la semaine prochaine Saturnin. Les 250 €, vous les réglez à ma secrétaire comme d’habitude. Pas de chèques bien sûr, liquide ou carte.
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Christine/ Une rencontre inattendue
Deux jours après, toujours attristée par cette disparition, j'avais entrepris une petite promenade en direction des fermes dominant le coteau ensoleillé.
Brave petite Bréchette, rescapée d'un élevage en batterie, si vive, son maigre cou déplumé, et ce curieux bec ébréché qui lui avait valu son nom. Lorsqu'elle buvait, elle émettait un sifflement ...Le destin ne nous avait pas laissé le temps de tisser les liens que je pressentais …
J'en étais là de mes pensées, lorsque mon regard fut attiré par un petit dôme vernissé, couchant les herbes sur son passage. Mais ?!? Je n'en croyais pas mes yeux ! C'était ...
... UNE TORTUE, UNE TORTUE !!! Cher lecteur, le taux de probabilité de trouver un chélonien en train de déambuler dans une prairie vosgienne est infime ! Mais le plus extraordinaire dans cette rencontre fortuite, était que ce fut tombé sur moi, et non pas sur un promeneur lambda.
En effet, des décennies avant d'attraper le virus récent de la poulomanie - j'étais alors à l'école primaire - subitement, je me pris d’une véritable et indéfectible passion pour les tortues. Il était alors facile de s'en procurer : j'en eus plusieurs, terrestres et aquatiques, qui occupaient une grande partie de mes loisirs et peuplaient mes rêves. J'étais fascinée par leur grande famille et recopiais des pages entières dans les ouvrages scientifiques. Mes proches m’offraient de petites tortues-objets pour ma collection.
Autrement dit, le face à face avec cette tortue me projetait des années en arrière : je me retrouvais tout à coup dans la peau de la fillette tranquille, passant des heures à chouchouter et surveiller son animal favori.
Je la saisis doucement, sachant qu'elle allait résister : pas possible de caresser son cou, elle souffla bruyamment et rentra sa petite tête serpentine dans sa carapace. Un rapide examen sous son ventre me permit d'identifier une femelle ! Depuis combien de temps n'avais-je pas tenu un si beau spécimen de Testudo graeca entre mes mains ?
C'était extraordinaire ! Je venais de perdre une poule, et une tortue me revenait !
C'était
l'été, synonyme de villégiature pour nous et pour les poules ... Et
pourtant, les vacances commençaient mal : à peine arrivée, Bréchette
s'était enfuie. Nous apprîmes plus tard qu'elle avait été recueillie
puis, suite à un malheureux enchaînement de circonstances, emportée par
un renard.
Deux jours après, toujours attristée par cette disparition, j'avais entrepris une petite promenade en direction des fermes dominant le coteau ensoleillé.
Brave petite Bréchette, rescapée d'un élevage en batterie, si vive, son maigre cou déplumé, et ce curieux bec ébréché qui lui avait valu son nom. Lorsqu'elle buvait, elle émettait un sifflement ...Le destin ne nous avait pas laissé le temps de tisser les liens que je pressentais …
J'en étais là de mes pensées, lorsque mon regard fut attiré par un petit dôme vernissé, couchant les herbes sur son passage. Mais ?!? Je n'en croyais pas mes yeux ! C'était ...
... UNE TORTUE, UNE TORTUE !!! Cher lecteur, le taux de probabilité de trouver un chélonien en train de déambuler dans une prairie vosgienne est infime ! Mais le plus extraordinaire dans cette rencontre fortuite, était que ce fut tombé sur moi, et non pas sur un promeneur lambda.
En effet, des décennies avant d'attraper le virus récent de la poulomanie - j'étais alors à l'école primaire - subitement, je me pris d’une véritable et indéfectible passion pour les tortues. Il était alors facile de s'en procurer : j'en eus plusieurs, terrestres et aquatiques, qui occupaient une grande partie de mes loisirs et peuplaient mes rêves. J'étais fascinée par leur grande famille et recopiais des pages entières dans les ouvrages scientifiques. Mes proches m’offraient de petites tortues-objets pour ma collection.
Autrement dit, le face à face avec cette tortue me projetait des années en arrière : je me retrouvais tout à coup dans la peau de la fillette tranquille, passant des heures à chouchouter et surveiller son animal favori.
Je la saisis doucement, sachant qu'elle allait résister : pas possible de caresser son cou, elle souffla bruyamment et rentra sa petite tête serpentine dans sa carapace. Un rapide examen sous son ventre me permit d'identifier une femelle ! Depuis combien de temps n'avais-je pas tenu un si beau spécimen de Testudo graeca entre mes mains ?
C'était extraordinaire ! Je venais de perdre une poule, et une tortue me revenait !
© christine camara
À quelques détails près, cette histoire est véridique.
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Joëlle/ Mon rêve de cette nuit
Et voilà ces chiens devant ma porte que j'ai ouverte.
Je sais que je rêve, mais quand même,
ça m'étonne de voir ce groupe canins,
comme un tableau qui bouge, devant mes yeux.
Haletants, en attente de je ne sais quoi.
Que me veulent-ils ??
Et voilà ces chiens devant ma porte que j'ai ouverte.
Je sais que je rêve, mais quand même,
ça m'étonne de voir ce groupe canins,
comme un tableau qui bouge, devant mes yeux.
Haletants, en attente de je ne sais quoi.
Que me veulent-ils ??
Je les scrute. J'aime bien celui avec son air joyeux et impatient qui semble attendre que je l'emmène en balade.
Le fougueux près de lui m'inspire moins confiance... me fait penser à la maladresse et àl l'exubérance d'un grand dalmatien que j'ai connu, qui cassait tout sur son passage.
Le plus gros d'entre les chiens du groupe m'agace. Monsieur je-sais-tout, avec un air condescendant :
"Ah ma poule, tu vois, je t'explique la vie."
Pour couronner le tout un petit bulldogue est sorti du groupe pour venir rebondir et sauter, toujours plus haut, jusqu'à mon bras, et il s'y agrippe avec ses crocs !
Je réussis à le décoller en lui donnant un coup de poing !
Pourtant ça ne l'arrête pas, et il recommence à prendre mon bras pour un arbre de secours.
C'est quoi ce rêve, c'est quoi ces chiens ?
C'est quoi ce rêve, c'est quoi ces chiens ?
© joëlle ehrat
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Pendant un mois, Le Horlart a eu la chance de recevoir des textes variés émanant d'auteurs-et d'auteures qui ont su montrer au fil des exercices, le plaisir d'écrire, l'audace de se livrer et la curiosité pour des expressions artistiques différentes de la leur.
Cette aventure littéraire - telle qu'elle a été suivie et présentée - se termine aujourd'hui ; mais je souhaite vivement qu'elle continue de vous inspirer. Je vous invite donc à revivre les belles heures de cette expérience. Pour lire et relire les textes précédents, c'est ici.
Cette aventure littéraire - telle qu'elle a été suivie et présentée - se termine aujourd'hui ; mais je souhaite vivement qu'elle continue de vous inspirer. Je vous invite donc à revivre les belles heures de cette expérience. Pour lire et relire les textes précédents, c'est ici.
Pour découvrir ou redécouvrir le cadre de ce premier atelier à distance encadré par Ema Dée et porté par Christine, Joëlle, Léa, Lei N'Karna et Thomas, ce sera aussi par là.
Merci pour votre curiosité !
(1) Oeuvres, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, 2006
(2) Lettres de mon moulin, éd. Livre de poche, 1986
© thomas cloué © léa gagnon © lei n'karna © christine camara © joëlle ehrat © ema dée