Faisant suite à un premier article publié en juillet 2019, le texte qui suit entend revenir sur l'identité originale du livre autoédité profeels.com, en particulier au regard du parti-pris graphique de la couverture et des pages intérieures.
Ouvrir ce petit album d'une cinquantaine de pages, c'est faire des rencontres.
26 personnalités différentes — 26 postulants — , attendent d'être vues ; elles s'affichent avec brièveté, humour et poésie ; quelques mots suffisent pour les caractériser ; et l'on saura l'essentiel à propos de leur parcours professionnel, leurs goûts, leur devise dans la vie... La mise en scène du lien texte-image repose sur une suite de fiches descriptives associées, à chaque fois, à un portrait en couleurs sur un fond lui aussi en couleur. Avec brièveté certes, mais toujours de manière singulière afin de marquer les mémoires (des lectrices et des lecteurs) et se faire remarquer.
Petit diaporama de personnages "hauts en couleur".
Hommes et femmes de profeels.com furent d'abord dessinés au feutre et au feutre pinceau sur des post-it dans le cadre d'un projet en work in progress dont j'ai déjà vastement parlé dans d'autres articles : le horlart à 1,99. Je me permets d'écrire ici quelques lignes à son sujet pour rappeler de quoi il s'agit. Le but du projet était au préalable de privilégier ce qui je montrais peu jusque-là voire pas du tout, le dessin brut fait avec peu de moyens et surtout en un minimum de temps — comme l'esquisse poussée d'une idée. Par minimum de temps, il faut entendre 5 à 15 minutes passées par dessin. Un temps court, sciemment cadré, m'obligeant ainsi à faire feu de tout bois c'est-à-dire de n'importe quoi se traçant sur ma feuille. Ce qui m'a rarement permis de présenter en ligne un rendu maîtrisé ou "abouti" et c'est tant mieux ! (Comme il est bon parfois de s'autoriser un dessin sans étude préparatoire.)
Abouti : adjectif souvent entendu prononcer dans mon parcours d'illustratrice par d'autres que moi pour qualifier mes œuvres ou mes projets graphiques, sans que je comprenne vraiment à quoi cela correspond concrètement dans la mesure où, selon moi, il n'y a que l'artiste qui peut penser en elle-même et estimer que son travail est abouti. "Abouti" a signifié dans ce projet-ci, par exemple, que le dessin tel qu'il était publié me paraissait incomplet, méritant que je procède, à un autre moment, plus tard, à une éventuelle transformation. C'est pourquoi, au fil de ce projet, a pointé le bout de son nez la nécessité d'une valorisation par le biais d'une création livresque protéiforme : livre d'artiste, livre objet, livre illustré, fanzine, carnet réflexif illustré...
Ouvrir ce petit album commence donc par la couverture.
Pour elle, j'ai créé un motif carrelé duquel surgit une moitié de tête pour une couverture en pot-pourri, aux couleurs chatoyantes et combinées : bleu, orange, rouge, vert, jaune, violet et noir. Ce parti-pris graphique n'est pas une référence grossière à un album jeunesse à succès ni à de l'art abstrait naïvement reproduit. Il est tout simplement un rappel des couleurs utilisées pour la mise en page intérieure de mes petits portraits ; en outre, il renvoie à l'ambition du projet, présenter un panel de personnages différents et hauts en couleur.
Ici, on se raconte ; ici, on se dévoile. Écoutez !
Trouver une couverture est une étape délicate et passionnante. Délicate d'abord, parce qu'elle doit avoir un rapport avec le contenu qui soit d'une évidence troublante. Dans la plupart des cas, même s'il est ténu, ce lien doit exister. De plus, rien ne prémunit l'artiste de se livrer à un pastiche involontaire, c'est-à-dire, reproduire sans le vouloir quelque chose qui a été vu auparavant, qui se serait imprimé en elle, dans sa mémoire, et qui est refait par elle, en étant persuadée d'avoir trouvé une solution originale et inédite. Délicate étape encore, car une mauvaise couverture dessert le livre soit en biaisant la juste perception de son contenu soit en créant une attente qui sera déçue ensuite, une fois le livre ouvert.
Le dessinateur de bandes dessinées américain Charles Burns explique notamment qu'il met beaucoup de temps à concevoir ses couvertures ; pour lui, elles doivent refléter avec précision l'intérieur de sa bande dessinée, l'histoire et la manière dont il la raconte, montrant une prise en compte de la forme comme du fond. Pour ma part, je regrette toujours qu'une bande dessinée en noir et blanc soit publiée avec une couverture en couleurs, même si je sais que cela répond autant à une habitude visuelle qu'à une volonté commerciale et parfois même artistique (cas des comic books ou des mangas). Et très curieusement l'inverse ne se produit jamais.
Néanmoins, créer une couverture se révélera à chaque fois une étape passionnante. Cela parce qu'elle permet de tâtonner, d'explorer, d'expérimenter dans les vastes territoires que constituent le titre, la typographique et ses polices de caractères, la composition, les possibilités offertes par l'impression en matière de papiers comme de finitions (dorure, relief, saturation de couleurs, fenêtre, découpe, rabats)... Cela parce qu'au bout du compte, la couverture commence et termine le livre.
Ouvrir ce petit album continue avec son contenu.
Côté gauche. On remarque d'emblée le semblable redoublement de la lettre "e" dans la graphie titre et celle des prénoms. On remarque également les catégories choisies pour servir de support à une présentation à la fois homogène et néanmoins variée : "âge", "profession", "aime", "déteste", "son profeel favori", "son rêve", "sa devise". On remarque enfin le petit dessin en noir et blanc, avatar posé dans le bas de chaque fiche, qui la termine agréablement. Agréablement et judicieusement, car c'est à chaque fois un clin d’œil amusé à un postulant ou à une postulante. Côté droit. Un portrait épaule et frontal prend place dans un espace abstrait représenté par un fond mat et plein. Si l'on pense soudain à une photographie de classe ou à un photomaton fantaisie, on aura raison, c'était le but. La disproportion entre la taille des personnages et l'espace dans lequel chacun et chacune est mise en œuvre volontairement : écrasement par le cadre (de vie, du travail, de ses désirs...) ? Recherche d'un effet comique décalé ? Peut-être. Ce qui est certain, en tout cas, c'est qu'ici tout le monde s'est donné le mot pour apparaître dans une grande simplicité (voire une forme de radicalité).
Ouvrir ce petit album invite à s'interroger.
Pourquoi ce double "e" ? Pourquoi recourir à des "fiches" plutôt qu'à un texte bref dont j'aime dire qu'il me convient parfaitement ? Et pourquoi ces métiers-ci ? Quelle est la véritable nature de cet album qui n'est clairement pas un guide à l'usage des conseillères d'orientation ? Profeels.com ne s'attache pas à caractériser des professions, en effet. Il faut davantage voir cet album comme la concrétisation d'une idée personnelle liée à une lecture pleine d'auto-dérision de mon propre parcours professionnel* :
— Imaginer faire se rencontrer mon expérience pratique et théorique de certains métiers et des portraits d'hommes et de femmes imaginaires ;
— Chercher par la magie de la mise en page, une manière qui fasse sens, c'est-à-dire que chacun et chacune prennent vie page après page, deviennent familiers et proches.
— Enfin, vouloir qu'à la faveur de cette rencontre, se révèle un microcosme tel que peut le
représenter un site de rencontres ou un réseau professionnel, où
parfois, les pseudonymes remplacent les prénoms d'usage et surtout, où l'on cherche
à (ap)paraître sous son meilleur profil.
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*Puisque j'ai été tour à tour, en rêve ou dans la vie réelle, équilibriste, animatrice de centre de vacances, téléactrice, caissière, modèle vivant, arracheuse de dents, art-thérapeute, vendeuse de reproductions d’œuvres d'art, chanteuse dans le métro, serveuse, cliente mystère, assistante de conservation en bibliothèques, artiste, avaleuse de couteaux, intervenante spécialisée en art, magasinière, baby-sitter, clown photographe reporter, meneuse de revue, chercheuse d'emploi, fleuriste, magicienne et journaliste-rédactrice iconographe pour la radio.
Sinon, pour accéder au tout premier article sur ce projet publié sur le Horlart sous le titre Caractères et bons mots dans un second album carré : suite de mes autoéditions, c'est ci-après :
http://www.lehorlart.com/2019/07/autoedition-ema-dee-portraits-2019.html
Enfin, assumant d'être à nouveau hors-sujet, et pour celles et ceux que cela intéresse, je signale un article passionnant de Jean-Paul Gabilliet sur l'esthétique de l'auteur Charles Burns ; il est accessible ici :
https://journals.openedition.org/sillagescritiques/9579
©ema dée