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mardi 19 novembre 2019

Confidences d'artiste et réflexions personnelles : l'édition indépendante made by Benoît Jacques (2nde partie)

L'article suivant se concentre sur une présentation personnelle du travail d'un auteur autodidacte que je rencontre grâce à l'École : Benoît Jacques. Ce texte prolonge et illustre le compte-rendu commencé dans la publication précédente qui a traité de l'offre de l'École du livre de jeunesse. Celle qui permet, en particulier, d'approcher autrement des artistes du Livre.

Auteur d’origine belge et résidant en France, il publie des livres illustrés, pour la Jeunesse – aux dires de la critique, parce que lui-même ne s’impose pas de limites aussi précises concernant sa cible potentielle ou son lectorat. "Créateur multiforme", il publie des récits illustrés, des imagiers, des albums, des flipbooks, des carnets... "Ses livres sont faits pour ceux qui aiment ses livres", grands comme petites enfants, me permettrai-je d'ajouter.
 
Je désire le rencontrer car il représente pour moi et depuis bien des années, une sorte de modèle. Non à suivre ou à copier, plutôt à approcher et à entendre afin d'être capable de mieux penser l’aspect « conception de projets de livres » dans ma propre démarche de créations artistiques. (Sans pour autant cultiver une forme d’exclusivité, de rejet de l’existant ou de culte pour les chemins de traverse, je suis très attachée à l’idée d’une création Do It Yourself, surtout dans le livre.) 

 Hommage à Attention extraterrestres de Benoît Jacques

2) Dans la fabrique du livre de Benoît Jacques : parcours personnel, démarche artistique et autoéditions

Placé au début comme à la fin de la chaîne éditoriale, Benoît Jacques est quasi le seul maître d’œuvre dans et de sa création dont il a su imposer tranquillement l’originalité, l’opportunité et la résistance. Pour Benoît Jacques Books, il conçoit seul le contenu de ses ouvrages. En trente ans, il a su, néanmoins, habilement développer un réseau personnel, solide, pour l’assister dans la fabrication et la vente de ses livres ainsi que leur promotion : il travaille avec des interlocuteurs ciblés ; ses petits objets livresques sont vendus dans une quarantaine voire une cinquantaine de librairies différentes en France ou en Italie, notamment ; il a son stand au Salon du livre et de la presse de jeunesse de Montreuil ; il est bien connu des bibliothécaires jeunesse ; enfin, il est sollicité pour effectuer des résidences de création et animer des ateliers. Selon moi, il est un artiste complet. Il a réussi le pari de trouver sa place dans le paysage de l’édition tout en développant une démarche assez unique : devenir un auteur - éditeur lu ET reconnu. 

Une démarche et un engagement personnels forts qui plongent leurs racines et leurs principales caractéristiques dans son enfance. Benoît Jacques aime à penser que "l'Enfance estampille l'adulte en devenir". Lui-même voit ses créations livresques comme des formes évoluées de ses tout premiers objets faits à la main durant sa jeunesse.

Dans ses débuts, B. Jacques poursuit deux directions : illustrateur pour la presse anglo-saxonne et concepteur de livres. Sans la première activité facilitée en Grande-Bretagne où le dessin de presse est perçu différemment par rapport à la France (pendant quelques années), l’auteur-illustrateur bruxellois n’aurait pas jouit de la même liberté de création de livres à sa manière et selon ses propres conditions et exigences. En esthète patient, passionné et rigoureux, il est en effet exigeant, qu’il s’agisse du choix du support d’impression, de la typographie, de la couverture... Son premier livre Play By It bear, leçon de musique, une réflexion ludique sur l'écriture des partitions de musique, est un objet insolite qui depuis sa création en 1989 se vend toujours bien. Sa facture simple et soignée en fait le premier objet à lire publié par Benoît Jacques Books

 
 Play by it Ear : leçon de musique © benoît jacques books

Une indépendance dont il fixe très vite la marche à suivre : il travaille seulement avec les libraires qui lui achètent ses stocks. Selon l'auteur, laisser sa production éditoriale en dépôt comporte un risque. Le libraire est moins engagé dans l’idée de vendre le livre, ne peut pas forcément ou ne prendra pas le temps de le mettre en avant.
On peut aisément comprendre cette situation : face à une surproduction de livres, la pression de la nouveauté et l'exigence d'entretenir un fonds varié et de qualité, les libraires, même les plus patients, passionnés et audacieux, sont amenés à faire des choix promotionnels.  

Autre risque, le livre peut être retourné abîmé, devenant par conséquent invendable ailleurs. Situation très dommageable pour un auteur indépendant qui travaille avec des stocks toujours plus réduits que l'Édition classique. Le ou la libraire qui achète le livre va vouloir le vendre, rentrer dans ses frais ; c’est la meilleure des motivations pour les libraires comme pour l'artiste - auteur. 

Éditer soi-même un livre c'est se confronter rapidement à des problématiques matérielles qui, en quelque sorte, expliquent et "formatent" l'aspect des créations imprimées. Benoît Jacques publie préférablement des livres en noir et blanc, moins onéreux ; par contre, il peut s'autoriser  la trichromie ou la quadrichromie pour ses jaquettes, couvertures et emboîtages,  et, de temps en temps, pour un livre entier. Ce fut le cas par exemple pour La nuit du visiteur, un album délicieusement irrévérencieux qui a été récompensé par le Baobab de l'Album au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, en 2008.

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La nuit du visiteur © benoît jacques books

Parmi les étapes de fabrication du livre, l’impression est une activité passionnante. Elle doit être bien réfléchie au niveau économique comme commercial. En effet. Benoît Jacques s’autofinance. Très vite, dès le début de son activité, il a su définir une conduite personnelle fondée sur un système quasi fermé : réinvestir ce qui est gagné grâce à la vente de ses livres dans la création d’autres livres. Pour cela, et c’est une de mes interrogations personnelles qui trouve là une réponse, il convient de trouver le ou les bons imprimeurs, c’est-à-dire ceux qui, en fonction de sa création, seront les mieux-disants, et ceux avec lesquels il apparaît possible de nouer une collaboration. Ce rapprochement peut devenir vite très utile : il permet de solutionner des questions de fabrication, de concrétiser des envies – le champ des possibles s'élargit – , tout en fournissant un produit de qualité, dans des quantités viables et rentables. 

Il faut, précise l’artiste, savoir aussi se tourner vers les petits imprimeurs qui travaillent de manière artisanale car eux peuvent se permettent des tirages en éditions limitées. Ce n’est pas toujours le cas des gros imprimeurs qui ont besoin d’un certain volume de livres à imprimer pour rentabiliser la simple mise en route de leurs machines. 

Ces choix interagissent avec l'esthétique des livres de Benoît Jacques : par exemple, son dessin, oscillant entre expressionnisme et art brut, est valorisé par l’impression en noir et blanc sur beaux papiers. Réfléchir au livre en terme de coût de revient a l'avantage de permettre à l'auteur des explorations éditoriales qui valorisent, en même temps, ses choix d'écritures et sa conception de la lecture. Chaque livre devient entre ses mains un objet d'artisan et d'artisanat, et chaque livre a son identité, dans un ensemble homogène de publications d’une grande diversité. Ce qui les réunit ? À mon sens, un trait d'esprit versé dans l'humour, le décalage qui fait réagir et réfléchir et la radicalité du dessin.

S'auto-éditer ou s'éditer de manière indépendante signifie également travailler dans la durée. Parce qu'il ressent un véritable attrait pour le livre bien fait, tel un défenseur du DIY avant l’heure, il aime faire le livre avec temps et soin, défend un positionnement « artistique » face à sa création livresque. Il produit peu de livres  mais chacun est un objet qu'il a plaisir à fabriquer, lire et voir lire. Il reste toutefois très à l’écoute du Marché du livre. Il sait notamment l’engouement actuel des jeunes lecteurs pour les livres pop-ups, ces constructions en volumes qui jaillissent des plats du livre. Ces objets à lire avec les doigts et les yeux demandent un travail très minutieux, coûteux, fondé sur un savoir-faire que l'illustrateur ne possède pas.  L'ingéniosité de l'artiste compense  : il trouve à sa manière des astuces et des pistes de lectures et/ ou de manipulation du livre, telles que des liens textes-images inédits, du suspense ou des surprises qui se glissent entre les pages du livre. L'acte même de lire devient un objet ludique



Hello Poppeup ! © benoît jacques books

Et quand le succès éditorial est au rendez-vous, comme fait-on pour gérer ? 

Le prix Baobab de l'Album qui lui a été décerné pour son livre La nuit du visiteur a été une vraie surprise pour lui. Un succès mérité : le livre est un délice de lecture, un exemple d’irrévérence réjouissante et un bel objet de création qui aborde judicieusement le thème de la Peur. Une telle distinction est suivie rapidement d'effets :  l'auteur-illustrateur reçoit en un temps record des demandes et les voit affluer de partout, en même temps. Un coup de projecteur et une fortune commerciale très gérables pour une structure éditoriale de grande ou moyenne taille, lourde pour une toute petite structure qui voit son rythme de croisière courant s’accélérer, avec la pression de répondre bien et très vite aux commandes. 


Le Baobab de l'Album est aussi une consécration : il vient célébrer officiellement l’excellence et la pertinence du travail mené par Benoît Jacques depuis des années, en faveur de la Lecture pour la Jeunesse, les Arts graphiques et la Création artistique et éditoriale. 

Cet article se poursuit et se conclut avec un troisième texte,  complémentaire, à découvrir en cliquant ici. J'y aborde la création éditoriale indépendante dans ma démarche de créations artistiques, comme un retour sur soi favorisé par ma rencontre avec Benoît Jacques. Tirant des leçons des maîtres, je me pose en particulier deux questions : devenir autrice indépendante est-il compatible avec un travail d'autrice-illustratrice pour l'Édition à compte d'éditeur ? Quels avantages y a-t-il à développer une démarche alternative, et s'il y a des prérequis, quels sont -ils  ?

© ema dée

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