La Côte d'Azur " French Riviera" © les Editions "Mar", Nice.
"Je voulais aimer Thierry comme tout le monde, comme
toutes les filles de la chambre, comme toutes les filles du camp en fait. Je ne
voulais pas être la seule que Gaston couve de son regard globuleux, de sa chair
épaisse et trop abondante, de ses allures mal assurées, de son amour sincère.
Je voulais aimer Thierry et je voulais que Thierry m’aime.
J'ai 13 ans. Je suis en vacances sur la Côte. Il
fait chaud. Je m'emmerde. La mer, c'est chiant quand on est mal foutue, poilue parce qu'on n'a pas appris encore à se raser et boudinée dans un maillot
de bain qu'on porte depuis l'âge de 8 ans. Le corps a grandi, le maillot s'est
élargi, le vert émeraude du tissu, strié progressivement de fines traces
transparentes, a perdu son éclat et les trois petits noeuds rose pastel cousus
sur le côté gauche ne font plus le même effet sur le reste. Je ne suis plus la
petite sirène de papa. Plutôt la petite grosse fille de maman.
Le camp d'ados, chouette, tout simplement. Avec tout ce
qu'il faut à l'intérieur d'une bâtisse toujours fraîche et grande, bien agencée
et agréable, et tout ce qu'il faut autour, herbe tondue, fleurs et arbres
dans les angles pour l'atmosphère naïve et estivale, une étendue verte piquée
de jaune, de rouge et de bleu où planter plusieurs tentes pour dormir à la belle
étoile si on veut ou installer des transats pour se faire dorer au soleil. Oui,
tout ce qu'il faut pour ne pas chercher plus loin la moindre distraction qui
aurait pu rendre notre séjour intéressant. L'adolescence est la période idéale
pour s'emmerder, le faire savoir et n'en ressentir aucune honte ni gêne. Il
faut juste le faire avec un peu d'éclat.
Thierry n'était pas particulièrement beau, ni
grand, ni drôle. Il pouvait même avoir l'air niais, puérile et se montrer buté.
Des qualités bien tristes à vrai dire. Mais, Denise, la plus jolie fille du camp,
l'aimait. Fort. Fort comme la vie. Dans ma volonté de me faire des amies
le temps des trois semaines de vacances à la Côte, j'étais prête à être la plus
hypocrite possible et la plus docile. Pas la moindre trace d'amour-propre.
J'étais dans le groupe, insignifiante comme d'autres mais, dans ce groupe de
filles et de garçons, adultes cons au stade larvaire, j'avais ma place. On
dormait ensemble, on mangeait ensemble et religieusement, on écoutait la voix de Denise qui
décidait de notre journée, qui donnait le ton.
Parfois, il y avait relâche, quand Denise boudait ou quand les activités proposées étaient obligatoires ou encore, parce que les monos étaient plus motivés à nous faire nous bouger les fesses que d'ordinaire. Il fallait venir pour "voir le pays, parce que l'année prochaine, vous serez trop vieux pour revenir au camp". Qui sait, on sera peut-être morts ? Vous n'auriez plus à vous inquiéter pour la sérénité de nos petites âmes et le bienfait du contact avec la Nature sur nos corps informes ? Plus besoin non plus de vous en faire parce qu'on n'avait d'idées sur rien et des avis définitifs sur tout.
Parfois, il y avait relâche, quand Denise boudait ou quand les activités proposées étaient obligatoires ou encore, parce que les monos étaient plus motivés à nous faire nous bouger les fesses que d'ordinaire. Il fallait venir pour "voir le pays, parce que l'année prochaine, vous serez trop vieux pour revenir au camp". Qui sait, on sera peut-être morts ? Vous n'auriez plus à vous inquiéter pour la sérénité de nos petites âmes et le bienfait du contact avec la Nature sur nos corps informes ? Plus besoin non plus de vous en faire parce qu'on n'avait d'idées sur rien et des avis définitifs sur tout.
À table, Thierry raconte une blague pas drôle. Denise rit - enfin, elle pouffe - parce que Thierry rit aussi. On rit de
concert, et moi plus fort que les autres, évidemment..."
© ema dée
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