De temps en temps, il arrive une commande pour un dessin original. Elle est toujours la bienvenue : c'est comme relever un défi, puisqu'il m'est demandé de produire, pour une date précise, un dessin avec des contraintes précises elles aussi (format, couleur, genre), mais dans mon style, bien sûr !
En juin dernier, une amie me demande de produire un dessin pour l'anniversaire de son frère. Il s'agit de faire un portrait de lui à partir :
- de plusieurs photos de famille* en couleurs et en noir et blanc, prises à des âges et dans des contextes différents ;
- d'informations données oralement, c'est-à-dire quelques grands traits de caractère et des anecdotes qui créent un lien entre le sujet et moi : par exemple, son frère aime rire et possède un sens de l'humour décalé. Il apprécie la lecture de bandes dessinées. Sa femme est d'origine irlandaise. Enfin, son travail dans la Police est très important dans sa vie.
- du goût prononcé de mon amie pour les œuvres graphiques en couleur. Elle me rassure sur ce point, elle apprécie mes dessins en noir et blanc comme mes compositions plus "picturales".
- de son souhait d'offrir un portrait reconnaissable mais pas forcément hyper réaliste. Elle connaît bien mon style et l'étendue de mes possibilités de création dans le domaine du portrait.
Maintenant, au boulot !
Avec toutes ces informations, il m'est facile de me mettre au travail. La seule inquiétude qui a disparu dès que j'ai commencé à dessiner - bien qu'elle ait eu une fâcheuse tendance à pointer son petit nez de temps en temps - fut de faire le portrait d'un homme. Je dessine plus spontanément des femmes, des adolescentes ou des fillettes et sans modèle le plus souvent. L'inquiétude sera peut-être la même si je reçois un jour une commande pour dessiner le portrait d'un bébé ou d'une femme très âgée. C'est d'ailleurs pour me mettre en condition, que du côté de mon projet éphémère Le Horlart à 1,99, je décide de dessiner, en parallèle, un peu plus de sujets masculins.
La proposition ?
Quand je dessine pour une occasion spéciale (concours, contribution, fête), il y a souvent plein d'idées qui se bousculent ou parfois, rien du tout. Pour me dépatouiller de la situation, une étape incontournable : la recherche documentaire et les études au crayon et au pinceau à partir de photos. A chaque fois, je farfouille dans ma pinacothèque personnelle, je me balade sur Internet, j'examine et j'examine encore les images que j'ai sous les yeux, le crayon à la main. Pour cette commande-ci, avoir des photos assez différentes m'a été très utile.
Au final, deux idées un peu plus nettes se sont hissées au-dessus de ma pile d'intuitions embrouillées et une troisième qui n'a absolument rien à voir avec les attentes exprimées. Je réalise trois esquisses au crayon et à l'aquarelle que je soumets. Ainsi, mon amie a face à elle :
- exactement ce qu'elle a demandé ;
- exactement ce qu'elle m'a demandé mais dans une mise en scène plus "barrée";
- une ébauche pour un projet de dessin complètement hors sujet, mais qui peut se révéler intéressant.
C'est à ce moment qu'il faut noter clairement les petites corrections comme : opter pour une autre couleur, ajouter un détail significatif, déterminer le format définitif...
Dans la solitude de l'atelier...
Mon amie choisit le dessin qui correspond le plus à ce qu'elle attend. À moi, ensuite de bien garder à l'esprit tout ce qu'elle m'aura précisé entre la première demande et la seconde, notamment, ne pas utiliser de jaune dans la composition ! Heureusement, j'emporte toujours avec moi, mes fidèles assistants, grand carnet de croquis, calques, feutres et crayons, pour faire et noter les ajustements nécessaires.
Un peu de temps passe entre cette étape-ci et la remise du travail terminé. Dans cet intervalle, je suis seule face au portrait dont les contours se dessinent peu à peu. C'est un moment tout aussi délicat : je sélectionne avec soin le papier, lisse ou granuleux, rigide ou souple, ainsi que les couleurs dans la technique appropriée (soit aquarelle soit encre Ecoline, avec des traces de crayon) et l'outil le plus adapté pour faire l'encrage dans le "style BD" suggéré par mon amie, l'incontournable feutre pinceau japonais. La composition se précise, mais j'avance pas à pas, armée d'une grande rigueur.
Quand l’œuvre est finie, une sensation curieuse m'envahit : je suis contente et à la fois inquiète. Et si j'avais mal compris la commande ?
Ô satisfaction de bon aloi quand tu nous tiens !
Le moment où j'ai remis la commande fut un poil impressionnant. Pas de raison de s'angoisser pourtant, puisque toutes les étapes ont été pour ainsi dire "verrouillées" des deux côtés. Du côté de mon amie comme du mien. Il vaut mieux s'être très bien comprises.
Je la félicite d'avoir eu l'excellent goût de s'adresser à moi ; je me félicite d'avoir développé au cours des années, une méthode de travail suffisamment saine et organisée pour pouvoir fournir ceci :
Chassez le naturel, il revient, il revient !
Évidemment, je n'ai pas pu résister à l'envie de faire quand même la seconde proposition, juste pour ma collection personnelle ! Travailler sur deux compositions à la fois demande une bonne gestion du temps, du cadre défini et de ses envies, certes, mais c'est un moyen efficace pour gérer ses idées parasites, rester concentrée et ne pas ressentir de frustration. Ainsi, dans le dessin ci-dessous, j'ai laissé libre cours à ma fantaisie et j'ai expérimenté des éléments trop rares dans mes productions actuelles,
le fond coloré et les mots écrits à la main.
*Pour des raisons évidentes, je ne publierai pas les photos de famille qui m'ont servi de point de départ.
© ema dée