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dimanche 23 mai 2021

Illustrer un proverbe africain : une relation texte-image sur le thème de la chasse

Dernièrement, je me suis essayée à illustrer un proverbe africain. J'aime parler de ce genre d'expériences, car comme je le dis souvent — je me répète donc —, mettre en image(s) un texte, ici, une phrase, est un très bon exercice. D'autant que la dite phrase traitant de la chasse m'apparaît d'emblée mystérieuse, à la fois équivoque et univoque. Donc, cela se présente comme un défi. À différents point de vue.

 

Par exemple, et c'est le premier point, cela oblige à réfléchir bien sûr au sens de la phrase mais dans son univers à soi. Il faut la décortiquer en s'appuyant sur la syntaxe et la ponctuation utilisées, afin d'en déterminer à la fois son rythme, sa signification propres et d'en dégager un sens personnel. Et ça, ce n'est pas évident car la phrase peut ne pas résonner avec ses propres préoccupations ni avec ses obsessions, ou tout simplement, son discours, je veux dire, ce qu'on aime exprimer habituellement ou ce qu'on désire dire à travers son dessin. De plus, il convient d'y trouver un sens que l'on va pouvoir faire comprendre grâce à une image ou à des images.   

Deuxième point, justement, le dessin : si l'on considère que le mot peut renvoyer et à dess(e)in et à dessin c'est-à-dire, au but qu'on se donne en se mettant au travail ainsi qu'à l'acte consistant à prendre un support pour y inscrire une pensée, comment s'y prend-on pour faire sienne la pensée d'un autre, pour dire quoi et comment le dire au mieux ? L'image, la mise en scène de l'image et la production finale doivent être ressenties comme nécessaires — sinon pour tout le monde, au moins pour soi.  

Troisième point, illustrer un texte relève du défi, puisqu'il s'agit d'articuler ensemble deux univers, celui du texte et celui de l'image. Et là, aussi, un boulevard de questionnement s'ouvre devant soi : faut-il donner à lire le proverbe uniquement grâce à l'image ou peut-on choisir de l'intégrer à l'image produite, et dans ce cas, que va dire l'image ? De plus, si l'on procède ainsi quel statut donner au texte, et surtout comment bien l'inclure dans sa production afin que tout tienne ensemble harmonieusement ? Ou au contraire, comment proposer une sorte de "collage" texte-image, ou si l'on préfère, la cohabitation de deux univers indépendants ?

"TANT QUE LES LIONS N'AURONT PAS LEURS PROPRES HISTORIENS, LES HISTOIRES DE CHASSE NE PEUVENT QUE CHANTER LA GLOIRE DU CHASSEUR".*

Le proverbe est précisé ; le défi est lancé. Comment m'y suis-je prise ? En trois étapes, que voici :

1°) La familiarisation : un long moment a été consacré au dessin d'études de lions, de lionnes et de lionceaux et ce, à partir de photographies en couleurs. Car, si je dessine souvent des animaux, je ne suis pas très à l'aise avec les quadrupèdes tels que les gros félins. Je les ai étudiés selon différents angles et plans afin de comprendre leurs attitudes comme leur anatomie. Un autre temps important a été consacré à une recherche documentaire visant à re-découvrir le paysage de savane, à saisir ce qui le caractérise et le distingue du bush ou de la brousse, par exemple. Un dernier temps, plus court, fut occupé par d'autres recherches documentaires sur le thème de la chasse, qui, pour le coup, est un thème complètement étranger à mon univers graphique, plastique, littéraire voire même culturel et psychologique

Je ne connais la chasse que par les conséquences désastreuses ou les formes barbares qu'elle a et qu'elle prend dans la société d'aujourd'hui ; comme beaucoup, je suis informée de la (menace de) disparition de certaines espèces du fait des chasses excessives, ou de l'élevage des animaux aux seules fins de servir de gibiers aux chasseurs. Cela m'a questionné. Quel est mon avis sur la question, au fait ? Et comment le traduire ? J'ai envie de souligner ici ceci :  il a été important pour moi d'y réfléchir d'abord selon mes propres convictions ou à défaut — l'inspiration ne donnant rien de ce côté-là — ,  selon ce que mon style graphique pouvait en dire. 

2°) L'adaptationplus que de m'inspirer d'images vues (parfois malaisantes) sur internet sur le thème de la chasse et réalisant que je n'en maîtrise totalement ni les tenants ni les aboutissants, du moins pas assez pour me lancer dans une réponse militante et engagée, j'ai décidé de proposer une interprétation en premier lieu graphique. C'est-à-dire répondre du point de vue de mon univers dessiné : le trait fin, le dessin de personnages, une grammaire graphique permettant de traduire des nuances et différentes réalités, l'humour (effet caricature ou cartoon), enfin, les clins d’œil (ou références culturelles, artistiques) plus ou moins accentués évidents.

3°) La production et la création :  c'est que le proverbe suggérait, selon mon analyse, deux temps, reliés l'un à l'autre, et dénonce par le détour d'un langage imagé, l'univocité des récits de chasse et in fine, toujours de mon point de vue, l'emprise de l'humain sur l'animal. La notion de "temps" fait partie d'une de mes obsessions. L'enjeu devient alors d'être en mesure de donner à voir plusieurs temporalités (1ère articulation avec mon univers). La répétition du mot "histoire" fut comme une invitation : celle de me mettre dans la perspective du conte, de la fable, de l'oralité (2nde articulation avec mon univers) et d'une forme de mise en abyme, que j'affectionne beaucoup (3ème articulation avec mon univers). Et d'une manière générale, illustrer ce proverbe c'est me connecter à la manière dont je considère le dessin : il peut être cette fenêtre sur un monde alternatif, sur un impossible imagé permettant de saisir ce qui se joue dans le réel, comme pouvoir ici se mettre à la place de l'Autre.

Le format de la page unique, A3, m'obligera à opter pour une forme de narration composite ;  il fallait qu'elle soit claire et que son contenu soit dense ; je me suis appuyée sur le travail de Benjamin Rabier (1864 -1939) dont j'admire la capacité à organiser dans un espace restreint des moments distincts, en plus de son parti pris d'anthropomorphisation des animaux sans recourir aux vêtements et de son choix d'une mise en scène riche en stratégies narratives (insert, médaillon...)

Sous la houlette de l'artiste aux multiples facettes parce qu'à la fois dessinateur de presse, de publicité, auteur et illustrateur pour la jeunesse, je me suis amusée (4ème articulation avec mon univers) à "composer" une planche dans laquelle la phrase donnée fait partie intégrante de l'image ; celle-ci conserve cependant sa force et son autonomie en tant que texte déjà auto-signifiant. Une planche dans laquelle, deux mises en miroir chasseurs/ lions s'opèrent selon un léger décalage temporel. Une planche dans laquelle enfin, la lectrice et le lecteur, sont mises à contribution pour combler les "vides" (ou closure).

On pourra certes m'objecter que le sujet de la chasse aurait commandé une traduction plus violente, je veux dire, plus agressive, virulente — militante —, manifestant une prise de position ou montrant une acuité sur le phénomène comme une distance critique. Mais de cela, j'en suis dépourvue comme je l'ai expliqué plus haut. Peut-être aurais-je dû renforcer l'effet grotesque ? Que le recours à une structure narrative empruntée à un autre aura  desservi soit la force du propos que tient le proverbe soit la force de mon propos habituel ? ...

Planche dessinée au feutre, au feutre pinceau et au rotring sur papier. 29, 7 cm x 42 cm

À vrai dire, j'aime l'idée de faire du différent avec ce qui a déjà été fait ou de le "transposer" dans mon travail pour mieux comprendre ce qui s'y joue : me l'approprier.  Également, j'aime l'idée de me mettre "en danger" en explorant des territoires non familiers, au risque de donner l'air de me "dénaturer un peu". (Ce qui n'est pas le cas ici et même si dans l'absolu, cela peut arriver). J'aime l'idée même d'expérience. Grâce à elle, j'évalue mieux le chemin graphique et interprétatif déjà parcouru ; forte de celui-là, je peux m'autoriser à partir à l'aventure, elle-même formatrice et initiatrice de nouveaux chemins.

Et de mon point de vue, le défi a été relevé puisqu'à l'issue de ce travail, j'envisage de plus en plus sérieusement la création d'illustrations de textes dont je ne serais pas l'autrice. 

* Sujet du Prix graphique 2021 organisé par l'Institut Charles Perrault.

©ema dée

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