8h45 – un samedi, au printemps
une petite fille qui vit depuis tout juste un an dans un appartement au 7ème étage d’un immeuble hlm, dans une cité multicolore comme on en trouve dans certaines banlieues des grandes métropoles françaises, une fille qui dort dans une chambre carrée qu’elle partage avec ses deux parents, maman 28 ans et demi et papa 29 ans, mais pas dans leur lit (faut pas pousser), une fille qui parle à ses trois poupées barbies chauves et écoute ronfler son ourse en peluche rose, et qui s’appelle irène se réveille, plutôt d’une humeur pas terrible à vrai dire ; elle traîne au lit un moment, enfile enfin une pantoufle – le pied gauche avant le pied droit – revêt sa robe de chambre fleurie, traverse un salon en pagaille et déboule dans la cuisine, avec le visage d’un émoticône contrarié ; elle maugrée un « bonjour », ouvre le frigo et s’exclame, bah, y’a rien, se lamente, rien n’est prêt, s’installe sur sa chaise, devant papa qui feuillette son journal – bêtement précise la fille dans sa petite tête de fille, et non loin, maman debout, s’affaire nonchalamment en ce samedi frais et clair
Me saisir ponctuellement d'un sujet extérieur est un défi que je ne résiste pas à relever. Surtout s'il s'agit de dessiner et/ ou d'écrire !
"8 ans et déjà acariâtre !" est celui que lance le collectif associatif toulousain SideShow (Krill MacBernik et Monsieur Alice) pour son fanzine #4. Je réponds avec enthousiasme à l'appel lancé à l'automne dernier via Facebook. Le sujet me commande curieusement (ou peut-être pas ?) de parler d'anniversaire(s). Je dis "curieusement" parce qu'il n'y a pas de coïncidences dans la vie, il n'y a que des rendez-vous, n'est-ce pas ?
Mon esprit créatif aime, se nourrit, dévore et régurgite les contraintes ; mon esprit créatif – un brin retors, d'autres diraient "complexe" – aime mettre des boîtes dans d'autres boîtes, recherche les complications sciemment, multiplie – par jeu – les emboîtages lexicaux et iconiques.
9h25 –
autour d’une table apprêtée pour trois
à présent la fille qui s’appelle irène se retient de pleurer, affiche un air renfrogné, elle a un visage mutique devant son bol de chocolat au lait chaud – la peau laiteuse plisse dessus comme si c’était vivant – et ses deux tartines au nutella, servis par maman les cheveux ébouriffés l’air pas réveillé du tout qui n’a rien entendu de ce que sa fille a murmuré la tête quasi dans le frigidaire ; la fille ne dit pas merci à ces attentions tout particulièrement attendues aujourd’hui, en ce jour que papa et maman, l’ourse rose, le trio des barbies laides, son bol de chocolat vivant, le journal de papa, la Terre entière ! semblent avoir oublié : son anniversaire
à présent la fille qui s’appelle irène se retient de pleurer, affiche un air renfrogné, elle a un visage mutique devant son bol de chocolat au lait chaud – la peau laiteuse plisse dessus comme si c’était vivant – et ses deux tartines au nutella, servis par maman les cheveux ébouriffés l’air pas réveillé du tout qui n’a rien entendu de ce que sa fille a murmuré la tête quasi dans le frigidaire ; la fille ne dit pas merci à ces attentions tout particulièrement attendues aujourd’hui, en ce jour que papa et maman, l’ourse rose, le trio des barbies laides, son bol de chocolat vivant, le journal de papa, la Terre entière ! semblent avoir oublié : son anniversaire
Je tricote des fictions. En suivant différents patrons et en utilisant plusieurs fils et plusieurs genres de fils. Le plus souvent : le mot, le signe de ponctuation, les influences culturelles, la mise en page, la figure de style, les néologismes... J'ouvre mes tiroirs mémoriels que sont, par exemple, l'enfance, la prime adolescence, les copains, les années lycée, les vacances en colo, les chouettes pubs à la télé...
"Acariâtre" : ronchon(ne), bougon(ne), querelleur(se), désagréable, grincheux(se), revêche, irascible, hargneux(se), aigri(e), bilieux(se), chagrin(e), maussade... Être d'humeur ou d'un tempérament difficile...
Pour produire au mieux dans le contexte de ce fanzine, je réalise, à postériori, que je n'ai pas dérogé à ma petite règle intérieure des séries, dominée par le chiffre 3 : je propose 3 illustrations et une histoire mettant en scène 3 personnages principaux. Mes cadres fictionnels de référence sont aussi convoqués, en particulier, le conte, l'autofiction et le dessin animé.
la fille qui s'appelle irène affiche un air peu amène, les sourcils froncés, le bas du visage coincé dans la paume de ses deux petites mains aux extrémités rougissantes, elle ne manque pas de remarques acides qui tournoient dans sa tête brune, papa doit être bien content aujourd'hui, qu'elle se dit, puisqu'il a tout ce qu'il veut pour être heureux, un café brûlant deux sucres une biscotte au beurre salé et une bête de journal où cacher son menton pas rasé pour oublier la chose la plus importante du monde, la fille qui s'appelle irène n'épargne pas l'autre, la maman chiffonnée, aux gestes lents qui oublie toujours tout ; la fille a le rouge cramoisi qui lui monte aux joues, les épaules et le cou douloureux, comment ça se fait que le frigo que la maison que les parents que les cheveux que tout le visage, sont pas remplis ni rangés ni lavés ni coiffés ni rasés de près pour ma fête, s'écrie finalement irène, la voix chevrotante
Ici, je mêle quelques libertés grammaticales à une trame narrative au cheminement simple et progressif, construite à partir de souvenirs et d'inventions. Une idée fixe ? Surtout une forme de programme esthétique à incarner, autant de fois que possible : travailler un texte court comme une matière visuelle et sonore. Utiliser les ressources du média artistique pour construire à partir des bribes de véritables fictions.
la fille qui s'appelle irène affiche un air peu amène, les sourcils froncés, le bas du visage coincé dans la paume de ses deux petites mains aux extrémités rougissantes, elle ne manque pas de remarques acides qui tournoient dans sa tête brune, papa doit être bien content aujourd'hui, qu'elle se dit, puisqu'il a tout ce qu'il veut pour être heureux, un café brûlant deux sucres une biscotte au beurre salé et une bête de journal où cacher son menton pas rasé pour oublier la chose la plus importante du monde, la fille qui s'appelle irène n'épargne pas l'autre, la maman chiffonnée, aux gestes lents qui oublie toujours tout ; la fille a le rouge cramoisi qui lui monte aux joues, les épaules et le cou douloureux, comment ça se fait que le frigo que la maison que les parents que les cheveux que tout le visage, sont pas remplis ni rangés ni lavés ni coiffés ni rasés de près pour ma fête, s'écrie finalement irène, la voix chevrotante
Mais l'enthousiasme ne doit pas me faire oublier le cadre de départ, la commande, l'invitation coup de pouce à cette nouvelle expérience artistique, qui est : l'offre de 4 à 5 pages qui présenteront des images en n&b ou en couleurs (illustrations, dessins, BD...) et/ou un ou plusieurs textes. Car, il s'agit d'une publication dont le but est de mettre en avant, comme dans tout fanzine, des créatifs singuliers et joyeusement variés si possible.
Les trois images visibles ci-dessus – La dormeuse, L'écolière et L'invitée – constituent l'ensemble de ma proposition graphique grâce auquel je m'amuse à présenter une variation autour de l'adjectif "acariâtre". Le conte à l'envers (= un ou des éléments du récit est modifié, inversé) sert ma recherche-création. Pour le challenge, j'explore les possibilités plastiques du dessin en noir et blanc, au feutre, sur un format de travail plus grand que d'habitude.
Le récit bref Une dramédie enfantine dont je livre quelques extraits ci-dessus existe en plusieurs versions, par exemple : un "premier jet" écrit et imprimé pour le fanzine ; une autre version "réécrite" et lue en public, à l'occasion de l'apéro littéraire Les petites lectures dans la cour consacré au thème "Liens". (La lecture à voix haute est une manière - vivante -, pour son auteur, de rendre accessible un texte, de le faire entendre et de l'entendre. Chez moi, c'est aussi l'occasion de donner corps (une voix) à différents personnages et proposer un texte littéraire alternatif).
Le fanzine, conçu comme un petit objet d'art à lire, a été publié en février dernier. Il présente les images de Krill MacBernik, Clara Langelez, Paulaulart, Manu Narciso, Catiana Saint-Amour et de moi-même.
Les trois images visibles ci-dessus – La dormeuse, L'écolière et L'invitée – constituent l'ensemble de ma proposition graphique grâce auquel je m'amuse à présenter une variation autour de l'adjectif "acariâtre". Le conte à l'envers (= un ou des éléments du récit est modifié, inversé) sert ma recherche-création. Pour le challenge, j'explore les possibilités plastiques du dessin en noir et blanc, au feutre, sur un format de travail plus grand que d'habitude.
Le récit bref Une dramédie enfantine dont je livre quelques extraits ci-dessus existe en plusieurs versions, par exemple : un "premier jet" écrit et imprimé pour le fanzine ; une autre version "réécrite" et lue en public, à l'occasion de l'apéro littéraire Les petites lectures dans la cour consacré au thème "Liens". (La lecture à voix haute est une manière - vivante -, pour son auteur, de rendre accessible un texte, de le faire entendre et de l'entendre. Chez moi, c'est aussi l'occasion de donner corps (une voix) à différents personnages et proposer un texte littéraire alternatif).
Le fanzine, conçu comme un petit objet d'art à lire, a été publié en février dernier. Il présente les images de Krill MacBernik, Clara Langelez, Paulaulart, Manu Narciso, Catiana Saint-Amour et de moi-même.
© ema dée
en fait, tu tricotes du "jacquard" et c'est assez difficile comme tricot..
RépondreSupprimersinon,cette expérience parait assez prometteuse...