Peut-être vous demandez-vous ce que je fabrique depuis l'automne dernier parce que franchement, du mouvement, il n'y en a pas trop eu sur ce blog, depuis la publication d'un article
traitant de mes dernières découvertes BD ?! (Ou peut-être que vous vous en fichez pas mal car vous partez du principe que chacun fait ce qu'il veut et comme il le veut)
Comme j'ai honte de vous avoir laissés si désœuvrés...
Vous allez donc tout savoir : je concrétise aujourd'hui un projet personnel qui me tenait vraiment à
coeur. Je peux donc à présent hurler à ma fenêtre : JE L'AI FAIT! Quoi, me demanderez-vous? Et vous aurez raison de vous inquiéter, je vous remercie de vous montrer soudain si
attentifs...Voilà, je réalise aujourd'hui la micro-édition d'un premier livre. Son titre : Extraits de filles. Son genre : Un imagier en noir et blanc. Je veux dans les lignes qui vont suivre partager avec vous une première expérience qui a pris son temps, il faut le
reconnaître, pour arriver - heureusement ! - à son terme.
1) En amont du projet : la passion pour les imagiers
L'imagier que j'ai redécouvert en bibliothèques pour la Jeunesse il y a plus de 10 ans, est un genre de livres qui
m'intéresse tout particulièrement. Et pour cause, tous les thèmes peuvent y être traités, dans des variétés de formats et de styles graphiques. Avec ou sans texte, l'imagier dénombre, présente,
inventorie, décortique, met en vis-à-vis, compare, ordonne, rend compte, collectionne, catalogue...
De plus, il peut se décliner en abécédaire, imagier thématique ou généraliste, numéraire, livre-jeu et tout à la fois s'adresser aux plus jeunes - on lui attribue alors notamment la mission de leur faire découvrir le monde et les initier à la lecture -, comme aux autres, chez qui ces livres de jolies images réveillent des instincts de collectionneur et des envies de voyage. Enfin, il n'est pas l'exclusivité de la littérature de Jeunesse, puisqu'on le retrouve dans la BD, la Photographie, la Mode, le livre d'artiste...
M'interrogeant sur cette forme livresque qui me séduisait de plus en plus au fur et à mesure que je découvrais de nouvelles publications, notamment celle des éditions Mémo, j'ai cherché à pénétrer davantage ses secrets. Car, je me demandais au fond : pour faire un bel imagier, que faut-il ? Des imagiers cartonnés du Père Castor aux livres d'artistes édités par la Galerie l'Art à la Page, quels étaient les points communs et les différences caractéristiques ?
Rencontrer notamment Kveta Pacosvka, Emmanuelle Houdard (2008, L'abécédaire de la colère, Thierry Magnier), et Blexbolex (2008, L'imagier des gens, Albin Michel) à quelques années d'écart, m'a permis d'envisager plus concrètement la fabrication d'un imagier : il y a toujours une idée de départ - même si elle peut se transformer. Elle est "documentaire" ou plus personnelle, jaillissant comme une envie irrésistible de montrer, de dire, de présenter, dans un ordre scolaire (abécédaire, numéraire), logique ou plus arbitraire, un sujet. Puis, il y a une organisation, une méthode pour chercher et ordonner ses idées. Bien plus, si l'imagier semble être chez certains auteurs une forme de création parmi d'autres, opportune, elle correspond chez d'autres à une manière de voir le monde : Joëlle Jolivet (Costumes, Editions du Panama, 2007) explique qu'elle "aime dresser des inventaires de choses".
2) Mon imagier : des projets, une maquette
Avant de parvenir à Extraits de filles, j'ai expérimenté plusieurs projets :
- Trois imagiers sur support papier. Zoom (2007) cherchait à mettre en scène des "cadrages"
particuliers, Charlotte (2008) qui, à travers des images successives dessinées au trait, présentait le quotidien imaginaire d'une fillette de 8 ans, et Gens de Hem (2009), dans lequel je
présentais des personnages fantaisistes accompagnés de textes décalés. Le premier m'a permis d'aborder les questions délicates de la technique et du support et de
l'association d'images en couleurs et en noir et blanc, le second, celles du lien logique entre chaque scène et du personnage récurrent, enfin, le troisième, celle de la création d'une
maquette avec InDesign et de l'ajout de textes personnels.
A la faveur de ces premières expériences, je cernais toujours un peu plus précisément ce que représentait l'imagier pour moi seule. Parce qu'après avoir admiré le travail d'artistes confirmés, il devenait important, salutaire, de m'en éloigner et de trouver un langage et des sujets singuliers.
A la faveur de ces premières expériences, je cernais toujours un peu plus précisément ce que représentait l'imagier pour moi seule. Parce qu'après avoir admiré le travail d'artistes confirmés, il devenait important, salutaire, de m'en éloigner et de trouver un langage et des sujets singuliers.
- En avril 2010, je crée un blog baptisé Carnets de Moleskine, puis plus sobrement Carnets (fermé en avril 2013). Centré sur la publication d'imagiers "virtuels1", il a participé à cette réflexion d'ordre graphique, organisationnelle et thématique. Je pus par exemple "étudier" la peur et l'amour, illustrer des chansons et des idiotismes, représenter des objets familiers et des animaux... Cette publication contraignante de par sa nature m'a permis néanmoins d'évaluer l'intérêt de certaines techniques, d'approfondir mon langage plastique et de commencer à entrevoir mes propres sujets.
Extraits de filles fut d'abord la réponse à un besoin - fort - de réaliser un livre du début jusqu'à la fin, en
assumant toutes les étapes de fabrication et de diffusion... ou presque. Comme la somme, mieux l'aboutissement d'un parcours de plusieurs années de réflexion, d'imprégnations diverses et de
recherches conduites parallèlement au développement d'une démarche plastique s'intéressant à la mémoire. Une sorte de défi, pour voir comment ça fait d'aller au bout d'une idée, puisque
jusque-là je ne disposais que de projets inachevés pour des raisons diverses.
Ma première maquette. © Crédits photos ema
dée.
Souhaitant me focaliser essentiellement sur la création d'une maquette solide et attractive, je pris
le parti d'utiliser des images déjà existantes dans mon travail. J'aurai donc à mettre en scène des portraits de filles en couleurs et en noir et blanc et dans des formats différents. 1er
constat : la difficile conservation des nuances de matières (lavis, encres Ecoline) quand l'image est scannée et retouchée pour donner des blancs nets. 2nd constat : l'harmonisation délicate
d'images qui se suffisaient très bien à elles seules.
Ma première maquette associait en vis-à-vis texte court et image, le texte, humoristique, me permettant dans un premier temps de faire le trait d'union entre toutes ces images hétéroclites. Mon imagier s'est d'abord appelé Une fille, premier de la collection les Popooris.
3) Déboires et remises en question
Comment un projet au format 15,85 x 21 cm se transforme-t-il en un livre de la taille d'une carte postale ? Tout simplement parce que pour éditer mon livre, j'ai d'abord eu recours aux services d'une société d'impression en ligne et qu'après deux changements de maquettes et quelques mauvaises surprises qui ont failli me faire abandonner ce sympathique projet, je me suis tournée vers autre chose. Une solution de repli qui m'a amenée bien loin de mon projet de départ. Finalement.
1° - Pourquoi choisir une société en ligne d'aide à l'autoédition ? Moindre coût de fabrication pour
l'auteur, vitrine plus ou moins gratuite bien pratique pour faire sa promo, tarifs préférentiels pour une commande en quantité, nombreux formats proposés pour certaines de ces sociétés, des
collections qui permettent de mieux positionner son livre chez d'autres. Bref, que des avantages pour qui veut tester son travail de jeune auteur illustrateur sans trop s'engager
financièrement.
2° - Pourquoi éviter d'avoir recours à des sociétés en ligne d'aide à l'autoédition ? Pratiquement pour les même raisons : les coûts de fabrication sont répercutés sur le prix de vente (ou commission) qui ont des minimums imposés, tout peut vite sembler trop formaté notamment les formats et les collections, enfin, il n'y a pas de relecture-correction du texte ni de vérification de la maquette envoyée sauf si vous payez votre demande, parfois un peu cher.
Je dirai que tout dépend de la société qu'on sélectionne, de sa "réputation" et de son degré de savoir-faire. Pour ma part, j'ai choisi la mienne parmi cinq, pour la simplicité de son fonctionnement... en apparence.
Un problème récurrent : les bords perdus.
La première impression de mon livre fut décevante car décalée ; la seconde pire : la reliure était
collée de travers, les bords perdus2
de guingois. Ce contretemps digéré, je refis complètement ma maquette, en portant un soin particulier à ces fameux bords perdus, afin
de repartir, toujours avec la même société, sur de meilleures bases : le livre sera plus petit, avec un peu moins de pages, des illustrations et des textes retouchés, enfin,
une mise en page plus soignée. J'étais toujours motivée par ce projet.
J'avoue cependant que, face au Colissimo de La poste contenant la deuxième mouture de mon projet remanié, j'étais franchement anxieuse. J'eus malheureusement raison de ne pas me montrer d'avance trop enthousiaste. La couverture fort jolie s'ouvrait sur une reliure dos carré-collé3 faite à la va-vite au point que le livre ouvert, des pages se détachaient déjà et on voyait encore les traits de coupe 4 sur des pages massicotées à la serpe !... Dommage.
4) La recherche d'un imprimeur à l'écoute
Dégoûtée par le SAV de la société en ligne qui me culpabilisait à chaque fois que je pointais - à
tort ou à raison - ses dysfonctionnements et ses manques, je décide d'affronter ma peur : j'ouvre les pages jaunes à la recherche d'un imprimeur avec qui je pourrai discuter en
direct de mes difficultés et trouver des solutions saines.
Au total, j'ai rencontré sept imprimeurs desquels j'ai recueilli une masse d'informations précieuses. Par exemple,
sur la différence qualitative et quantitative entre le numérique et le laser, le pourquoi des tarifs d'impression variant du simple au quadruple pour les mêmes quantités commandées,
sur la question de la reliure en fonction de la pagination et... la gestion des bords perdus. Car il faut bien se l'avouer, n'est pas maquettiste qui veut.
Obsédée par ce projet qui n'en finissait pas de changer, j'insistai malgré tout. Un peu perdue, je m'adressai à une société parisienne spécialisée dans la reprographie et qui diversifiait ses activités en proposant d'imprimer les autoéditions de livres. Leur site était attractif, l'accueil en boutique courtois. Enfin, je découvrais les papiers, faisais l'expérience d'avoir un devis !... Après un tirage d'essai moyen que je dus quand même payer, j'allais ailleurs, avec sous les bras, un livre somme toute assez proche dans sa présentation de l'idée que je m'en faisais. Ce fut là une sorte de demi-victoire : j'optai définitivement pour un imagier au format A5 fermé et une reliure en cahiers agrafés5 plutôt qu'en dos carré-collé, un peu incertaine.
Le reste, c'est-à-dire que j'avais encore à trouver un prestataire capable de me fournir une impression sans failles
même avec un petit budget6 de départ, je l'ai trouvé satisfait, sans trop y croire, il y a un mois, chez un imprimeur près
de chez moi, habitué à imprimer des livrets pour des petites sociétés et des fanzineurs. Il a pris le temps de m'expliquer ce qui clochait dans ma maquette - j'étais toute ouïe, on osait
m'en parler de manière constructive. Il m'a proposé de faire un tirage d'essai. Ensemble, nous avons procédé ensuite aux corrections définitives avant l'impression finale. Tout
ne devrait-il pas se passer ainsi ? J'avais eu raison d'avoir quelques "exigences" éditoriales.
5) En conclusion : Pourquoi se lancer dans la micro-édition?
Pourquoi pas ? Du moment qu'on évalue un peu les risques en amont et qu'on tient bon... Ce n'est pas une démarche
originale : le fanzine existe depuis longtemps soit comme fin pour avoir entre les mains un bel objet fini, soit comme moyen de se faire connaître, rencontrer d'autres créatifs sur des
salons, diffuser ses idées, contourner un système... En cela, la micro-édition (ou auto-édition, autoproduction) peut avoir une valeur d'engagement idéologique, de la bande dessinée à
la musique en passant par la poésie.
Dans mon cas, c'est d'abord donner la possibilité à ceux qui me suivent de me collectionner comme
des reliques, ensuite, dans mon parcours artistique c'est marquer un passage en fabriquant des objets ludiques et intimes. Pour finir, cette première expérience jonchée d'obstacles - Ô sinistres
obstacles ! - m'a ouvert les yeux un peu plus grand sur l'activité d'auteur illustratrice : je dispose à présent d'un savoir pratique précieux que j'entends bien réutiliser très bientôt
!
6) Complément d'informations :
Micro-glossaire personnel :
1-Virtuel : Terme noté entre guillemets dans le texte parce que mes imagiers n'existent que dans
mon imagination, cependant parce qu' ils ont vraiment pris sens sur mon blog, je les qualifie ainsi.
2-Bords perdus : Pour éviter l'apparition d'un liseré blanc à l'impression d'images occupant toute
la page, j'ai appris à les paramétrer avant d'enregistrer ma maquette en PDF. En prévoyant un bord perdu d'environ 3 à 5 mm, mes pages de motifs ont fini par être correctement
imprimées.
3-Reliure en dos carré-collé : Mon premier essai était composé de cahiers collés entre eux. La couverture avait un
dos carré de 3 mm de large.
4-Traits de coupe : Quand tout se passe bien, ils n'apparaissent que sur la maquette en PDF afin de guider
l'imprimeur.
5-Reliure en cahiers agrafés : Cette reliure consistant en l'agrafage des feuillets entre eux en leur centre par
deux agrafes pour un projet tel que le mien devint l'option la moins onéreuse et la plus fiable. Mon livre est plutôt considéré comme un livret.
6-Petit budget : L'auteur (moi) qui s'autoédite peut avoir des frais plus importants qu'un éditeur
ordinaire, parce qu'il veut des petites quantités et que les tarifs d'impression sont du coup plus élevés. J'en ai fait le constat. Donc, il faut se montrer déterminé(e) face aux imprimeurs (évitez
les compromis qui altèrent trop le projet de départ) mais souple tout en gardant à l'esprit son prix de vente et les règles du Marché.
Micro-bibliographie pour les micro-curieux :
Marion Bataille, 2008. ABC 3D. Albin Michel
Nicolas de Crécy, 2004. Des gens bizarres. Éditions Cornélius
Yann Fastier, 1999. Et ça t'amuse ? [treize] étrange
Simon Kohn, 2004. L'autruche autostoppeuse. Thierry Magnier
Isabel Martins (texte), Bernardo Carvalho (ill.), 2007. Les jours de la vie. Éditions Sarbacane
Nicolas Poupon, 1999. Un nuage de lait. [treize] étrange
Serre, 1981. Savoir vivre. Glénat
7) Mon premier imagier en personne :
© Crédits photos ema dée
Extraits de filles
Micro-édition au format 10/15 cm imprimé sur offset 100g. 40 pages en N&B. Première impression en 20 exemplaires.
Couverture souple en couleurs. Disponible sur demande.
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Ema Dée vous remercie de votre curiosité et de votre visite. À bientôt !